Christine Angot porte sous son cuir un t-shirt noir avec une esquisse du visage de David Bowie. Si le propos est affûté, il émane d’elle une grande douceur. Elle n’esquive pas le regard et écoute.

L’inceste colle à la peau de Christine Angot, depuis la parution en 1999 de «L’inceste», son huitième livre. Son écriture, et maintenant un film, reviennent inlassablement sur le même événement. C’est son histoire, mais cela va au-delà.

«Tout cela, c’est une affaire hautement sociale», a dit l’écrivaine à Keystone-ATS. Chacun essaie de se dégager en cantonnant l’inceste à son histoire à elle, «à commencer par l’agresseur lui-même.»

«Cette indifférence gangrène la société»

«Et cette négation-là, cette indifférence, gangrène la société. Donc ce n’est pas mon histoire. C’est quelque chose qui m’est arrivé certes, mais à travers laquelle on voit ce qui nous arrive à nous, ce qui arrive à cette société.»

Son basculement du livre à la caméra s’est fait instinctivement. «J’ai décidé d’aller à Strasbourg (la ville où l’inceste s’est produit) et je me suis dit que ce serait bien qu’une caméra vienne avec moi».

La preuve par le cinéma

Le cinéma a une particularité – que la littérature peut avoir -, de l’ordre de la preuve: «Ce que je vois, les deux cameramen le voient aussi, comme les spectateurs. Et cela change tout.»

«On a affaire avec l’inceste à un crime social, très, très grave, qui fonde nos sociétés en tant qu’interdit – et il faut bien faire attention que cela continue ainsi», souligne-t-elle.

«La question, c’est d’écrire en profondeur. Ce n’est pas une révélation à faire sur telle jeune fille ou jeune homme ou une histoire de statistique. Je ne dis pas qu’il ne faut pas le faire, je dis que ce n’est pas mon propos.»

Niée

A partir du moment où Christine Angot a commencé à écrire, elle n’a plus entendu parler de la nouvelle famille de son père. «Mon existence a été cachée pendant 28 ans à mon demi-frère et à ma demi-sœur, mon père et ma belle-mère ne souhaitant pas dire mon existence sous prétexte que cela aurait perturbé leurs études. Moi si mes études ou ma vie entière allaient être perturbées, ce n’était apparemment pas un problème pour eux», dit-elle.

Dans le film, Christine Angot met le pied dans la porte et entre chez sa belle-mère. Après une amorce de dialogue, l’écrivaine sera assignée en justice quelques jours plus tard pour cette visite «forcée». Evidemment quand elle commence le tournage, elle ne sait pas que les choses vont tourner de cette manière.

Le bonheur reste accessible. C’est cela que les gens ne comprennent pas bien. Les aspects de la vie ne sont pas univoques, mais multiples.

Christine Angot, autrice et réalisatrice

Dans le film, elle pleure brièvement, lasse de porter cette histoire. «On a des moments dans la vie. C’est un instant, un instant», répète-t-elle deux fois. Parce que c’est difficile: se représenter les choses, s’en approcher, les comprendre. «C’est un vrai travail.»

Ecrire sur ce que l’on sait

Quand très jeune femme, elle commence à écrire, elle n’a pas pour projet d’écrire sur l’inceste. «Finalement je le fais, parce que je le sais. Je pense que quand on écrit, il faut plutôt écrire sur ce que l’on sait plutôt que d’écrire ce qu’on aimerait écrire. Ce qui est intéressant, c’est ce que les uns et les autres savent. C’est cela qui nous intéresse.»

Dans le film, sa fille est le premier personnage, qui reconnaît la souffrance de Christine Angot. L’écrivaine lui dit: «Personne ne m’avait dit comme toi: 'je suis désolée qu’il te soit arrivé ça'». Cette parole rompt sa solitude.

Les autres personnes du film, la mère de Christine Angot, la belle-mère et même l’ex-mari, oscillent entre affection, négation de l’événement, culpabilité et rejet.

«C’est qui ce type?»

Sa fille dit à propos de son grand-père qui a commis l’inceste: «C’est qui ce type?» Avec cette question, l’ombre de cet homme rapetisse.

Le film se termine dans ce dialogue entre Christine Angot et sa fille sur fond de bord de mer et une musique adaptée pour le film. Il s’agit de «La mer» de Charles Trenet, revisitée par une légende de la bossa-nova, le chanteur brésilien Caetono Veloso, sollicité par Christine Angot.

La beauté du monde – «parce que la mer, c’est ça», – met un point final à ce documentaire. «Le bonheur reste accessible. C’est cela que les gens ne comprennent pas bien. Les aspects de la vie ne sont pas univoques, mais multiples».

Visions du Réel est le deuxième festival où le film de Christine Angot est projeté après la Berlinale en février. Entretemps, elle a montré son documentaire à travers la France dans une tournée de plus de 30 dates.

Visions du Réel: «L’inceste, c’est une affaire hautement sociale»

L’écrivaine française Christine Angot est venue présenter son premier film «Une famille» au Festival «Visions du Réel» à Nyon. Ce documentaire autobiographique sort dans les salles mercredi en Suisse romande.