Prenons d’abord le volet politique. Qui, lundi après-midi 11 mars, s’est soldé par «un coup de pouce en faveur de la viticulture», des mots du conseiller aux Etats (PS/GE) Carlo Sommaruga.

Par 30 voix contre 12 et une abstention, la Chambre haute entérine une enveloppe annuelle de 9 millions de francs en faveur de la promotion des vins suisses. Et ce, jusqu’à ce que la production indigène atteigne 40% (contre 37% aujourd’hui) des parts de marché sur le plan national.

Un soutien triplé

Cette participation, jusqu’ici ponctuelle et donc soumise à l’épreuve du budget, sera désormais inscrite dans la loi. Prévue à l’origine à hauteur de 2,8 millions de francs, elle triple aujourd’hui de volume.

Un effort avait toutefois déjà été consenti dans le cadre des budgets 2023 et 2024, qui prévoyaient un soutien à hauteur de 9 millions. Mais ce montant ne faisait, jusqu’ici, l’objet d’aucune garantie.

Le système des contingents ne fonctionne pas pour le vin. Dès le départ, les volumes prévus pour l’importation étaient trop importants.

Marianne Maret, conseillère aux Etats (Le Centre/VS)

C’est désormais chose faite, à l’heure où la promotion reste le meilleur outil face à la concurrence étrangère. «Le système des contingents ne fonctionne pas pour le vin. Dès le départ, les volumes prévus pour l’importation étaient trop importants», note la conseillère aux Etats Marianne Maret (Le Centre/VS)

Voilà, dans les grandes lignes, pour la dimension politique. Intéressons-nous désormais au terrain. Pourquoi la promotion des vins suisses est-elle primordiale, selon les acteurs de la branche? La thématique fédère-t-elle son monde ou certains antagonismes résistent-ils encore au temps?

Pour disséquer ces enjeux, attablons-nous avec deux patrons de cave, le directeur de la maison Gilliard à Sion, Grégory Dubuis, et son homologue de la maison Henri Badoux à Aigle, Pascal Rubin. C’était il y a quelques jours à peine.

Vaudois et Valaisan à l’unisson?

Mercredi 6 mars. A l’heure d’immortaliser la rencontre, les boutades fusent. Reliquat d’une rivalité intercantonale, les deux hommes s’amusent à critiquer le fendant de l’un, le chasselas de l’autre. Une fois attablés, la discussion amorcée, on interpelle les deux directeurs sur leurs railleries. Simples piques confraternelles ou symptôme d’une animosité toujours latente?

La question a son importance à l’heure où les vins suisses cherchent à se fédérer sous une même bannière nationale pour assurer leur promotion. «Nous avons beaucoup de respect pour le travail de nos collègues», tranche Grégory Dubuis. «Il n’y a plus aucune région viticole qui fait du mauvais vin.»

C’est dit. Mais pas complètement entériné. «A l’époque, les clivages étaient importants. Aujourd’hui, ils sont largement moins marqués, mais, il faut être clair, ils existent toujours», nuance Pascal Rubin.

Si un concept fonctionne en Valais, il devrait mûrir partout en Suisse.

Pascal Rubin, directeur de la cave Henri Badoux

Et c’est précisément l’un des rôles de Swiss Wine Promotion (SWP) de faire «tomber ces barrières», ajoute le patron de la cave vaudoise.

Comment? «En regroupant les concepts, plutôt que chaque région ait sa propre philosophie.» Prenons l’exemple des «tavolatas», ces grandes tablées extérieures dédiées au vin et à la bonne chère qui essaiment dans le canton. «Si le concept fonctionne en Valais, il devrait mûrir partout en Suisse. Quand un fil est conducteur, il faut le tirer à travers tout le pays, mais nous n’y sommes pas encore», appuie Pascal Rubin.

Deux tiers de vins étrangers en Suisse

Si la production de vin suisse n’est pas en péril, elle souffre de l’importation. Le secteur peine à écouler ses stocks, à l’heure où près de deux tiers des bouteilles consommées sur le territoire proviennent de l’étranger. Dans le détail, seuls 88 millions de litres (sur les 237 consommés chaque année) sont issus du vignoble helvétique. Difficile, donc, de régater face à la machine internationale.

Rien que l’Italie dépense quelque 18 millions pour la promotion de ses vins sur le sol suisse. Le double de l’enveloppe fédérale votée ce lundi. «C’est énorme», souffle Grégory Dubuis.

Suffisamment pour confisquer les clés du marché outre-Sarine. «Les acteurs étrangers, que ce soient les Espagnols ou les Italiens, ont fait un très gros travail de promotion en Suisse alémanique. Ils ont pris le marché», souligne-t-il.

Les acteurs étrangers, que ce soient les Espagnols ou les Italiens, ont fait un très gros travail de promotion en Suisse alémanique. Ils ont pris le marché.

Grégory Dubuis, directeur de la maison Gilliard

Une lutte à armes inégales qui n’aurait pas encore trouvé son épilogue, estime le patron de Gilliard. «Depuis cinq ans, Swiss Wine Promotion essaie de renverser la situation. Mais les effets ne seront mesurables que dans une décennie. Je reste convaincu que la tendance va s’inverser.»

La situation d’aujourd’hui est aussi le reflet des pratiques d’hier. Les grands producteurs romands écoulaient alors leurs vins dans leur région respective, réservant leurs fonds de cuve pour le marché suisse allemand, si l’on caricature.

«Le Valais misait tout sur un cépage, sur un nom, le fendant. Dans les années 80 et 90, on a vendu nos vracs aux Alémaniques, qui ont embouteillé ces vins. On a perdu le contrôle sur la qualité», schématise Pascal Rubin.

Et le consommateur d’outre-Sarine boude depuis la production suisse, jugée peu qualitative. «En termes de promotion, on subit ce qui n’a pas été fait il y a trente ans», résume Grégory Dubuis.

Pour regagner ses lettres de noblesse, le vin romand doit donc parvenir jusqu’aux lèvres de ses détracteurs alémaniques. «Il faut démontrer à ce public la qualité de nos produits», ajoute-t-il. Mais le parcours est semé d’embûches. Si la réputation écornée des vins suisse freine le consommateur, le prix des bouteilles le dissuade encore davantage. Là où l’Italie et l’Espagne convainquent.

Sion le, 6 mars 2024 : Quelle futur pour les Vins suisse. Grégory Dubuis , directeur de la Maison Gilliard et Pascal Rubin (lunette) directeur de la maison Henri Badoux SA. ©Sacha Bittel © Le Nouvelliste SA / Sacha Bittel Pascal Rubin, à la tête d’une cave vaudoise et Grégory Dubuis, patron d’une maison valaisanne, estiment que la branche doit s’unir sous une même bannière en matière de promotion. Photo: Sacha Bittel

Travailler le «réflexe suisse»

Les symptômes sont identifiés. Au même titre que le remède. «Notre salut passera par la création d’une marque forte, identifiée et reconnue, et par un travail important sur le réflexe suisse», distille Pascal Rubin. Un réflexe, dit-il, qui doit être intégré par la jeune génération et au-delà. «Si le consommateur priorise la production locale par principe, le pari est gagné.»

Notre salut passera par la création d’une marque forte, identifiée et reconnue, et par un travail important sur le réflexe suisse.

Pascal Rubin, directeur de la cave Henri Badoux.

Un combat lent et chronophage porté par la promotion. «Un tel réflexe se forge grâce aux campagnes publicitaires, à l’affichage, aux ambassadeurs et aux réseaux sociaux», liste-t-il.

Suivant cette logique, Swiss Wine Promotion a notamment lancé un label gastronomique qui classe les cartes des restaurants – première porte d’entrée du marché – en fonction de leur offre en vins suisses. Si 25%, 50% ou 75% des crus sont nationaux, l’établissement est estampillé respectivement d’un, de deux ou de trois verres.

Clivage régional plutôt que politique

Sur le papier, le Conseil fédéral est opposé à l’enveloppe de 9 millions de francs dédiée à la promotion des vins suisses. L’UDC vaudois Guy Parmelin en tête, collégialité oblige, les sept sages jugent que cet investissement est malvenu en période de restrictions budgétaires et crée une inégalité de traitement avec les autres secteurs agricoles.

La branche, elle, rétorquera que la viticulture ne jouit pas de subventions et opère dans un marché complètement ouvert, a contrario du lait ou du fromage.

Deux visions qui relèvent davantage du régionalisme que de l’appartenance politique. «Le raisin parle français, les vaches parlent allemand», résumait en 2023 Robert Kramer, ancien conseiller aux Etats genevois et président de SWP.

Les différentes réformes avortées pour réguler l’importation de vin étranger lui donnent raison. «Aujourd’hui, on ne se fait plus d’illusions sur un changement législatif. Il faut donc se battre pour ce qu’il reste, à savoir, la promotion», note Grégory Dubuis.

Aujourd’hui, on ne se fait plus d’illusions sur un changement législatif. Il faut donc se battre pour ce qu’il reste, à savoir, la promotion.

Grégory Dubuis, directeur de la maison Gilliard

Reste que cette promotion soulève également des questions de santé publique, selon le Conseil fédéral. Est-il juste, s’interroge-t-il en substance, d’inciter à la consommation de vin? La sénatrice Marianne Maret s’en offusque. «Il n’est pas question d’augmenter la consommation, mais d’en reporter une partie sur la production indigène», appuie-t-elle.

Le directeur de la maison Gilliard, lui, insiste sur une «consommation en baisse depuis des décennies». La preuve qu’un changement d’époque s’opère, estime-t-il. «Aujourd’hui, on ne consomme plus du mauvais vin sans modération. On déguste des produits de qualité pour le plaisir.»

Reste à faire passer le message des deux côtés de la Sarine. Un défi, désormais, à 9 millions de deniers fédéraux par année.

Les Suisses boivent moins de vin, mais plus local

236 millions de litres de vin ont été consommés en Suisse en 2023, un chiffre en légère baisse par rapport à l’année précédente. Les vins helvétiques ont augmenté leur part de marché.