La descente en camionnette dans les entrailles de la roche granitique à peine entamée, le vrombissement qui remonte le long du tunnel se fait déjà sentir. «A ce rythme-là, dans une quinzaine de minutes, nous serons à moins 420 mètres», indique Johanna Hansen.

«Et là, vous découvrirez le seul endroit au monde qui est construit dans le but d’être ensuite oublié». Direction le plus grand cimetière radioactif jamais imaginé, près de la centrale nucléaire d’Olkiluoto, sur la presqu’île du même nom.

Notre guide du jour est géologue chez Posiva, l’entreprise nationale de gestion des déchets nucléaires. Prénommé «Onkalo», le dépôt qu’elle nous fait visiter est destiné à accueillir tous les déchets nucléaires du pays.

La Finlande compte cinq centrales en exploitation, dont la dernière, un réacteur de troisième génération unique en Europe, a été inaugurée en mai dernier (voir encadré).

«Olkiluoto 3», vu ici en mars dernier, est le plus grand réacteur nucléaire d’Europe. KEYSTONE/EPA/TVO

Le nucléaire fournit plus d’un tiers de la consommation en électricité du pays, et les autorités misent sur l’atome pour l’avenir. «Trouver une solution pour les déchets radioactifs était devenu une priorité», indique Pasi Tuohimaa, communicant de Posiva.

Un trésor caché

Ainsi, depuis 2004, l’excavation des tunnels bat son plein. Près de 7 km de galeries ont déjà été creusés à l’aide d’explosifs.

En 2025, lorsque le plus gros des travaux sera achevé, l’entreposage de quelque 5500 tonnes d’uranium usé pourra commencer. Elles seront insérées dans des étuis en fonte, qui seront eux-mêmes introduits dans des silos en cuivre.

Une fois scellés, les silos seront enfouis dans la roche, avant que le tunnel ne soit obturé avec un immense bouchon cunéiforme en acier renforcé. Une œuvre dantesque qui devrait prendre 100 ans.

null Les déchets seront entreposés dans des silos en cuivre. Image Posiva

Particularité: les déchets devront ensuite y reposer pour l’éternité. Ou presque. «100’000 ans. C’est la période durant laquelle les combustibles doivent dormir sous terre. D’ici là, ils auront largement atteint un seuil de radioactivité inoffensif», détaille fièrement le communicant.

Une ambition qui donne le tournis. Comment garantir la sécurité à toute épreuve de l’entreposage de ces bombes à retardement?

«Le postulat de base est que la surface de la terre n’est pas un lieu sûr. En un siècle, il y a déjà eu deux guerres mondiales et des catastrophes naturelles. C’est pour cette raison qu’il faut s’éloigner de la surface, en creusant dans cette roche solide, qui n’a pas bougé d’un iota depuis 1,8 milliard d’années.»

Alors qu’un cimetière se veut un lieu de mémoire collective, ici, c’est le contraire: tout est mis en place pour éviter que cette construction soit un jour considérée comme un trésor à déterrer; en 2120, lorsque toute la matière sera bien calée dans la roche, les tunnels d’accès seront intégralement bouchés, et les bâtiments à la surface du site détruits.

Il ne restera alors plus qu’à croiser les doigts pour que la tache noire du nucléaire reste endormie pour toujours.

«D’après les scientifiques, il y aura une nouvelle ère glaciaire dans quelques dizaines de milliers d’années. Peut-être que la terre verra ensuite apparaître de nouvelles civilisations. C’est pourquoi la demi-mesure n’est pas envisageable. Nous devons tout bonnement rayer ‹Onkalo› de la carte», continue Pasi Tuohimaa.

Environnement hostile

Notre vertigineuse descente se poursuit. Un véritable chantier souterrain s’ouvre à nous. Des conteneurs jonchent le sol caillouteux, des câbles sont tendus çà et là. Un ouvrier croque discrètement dans son sandwich.

«Mais la plupart du personnel a terminé sa journée», raconte notre guide. «Ici, on travaille de 7 heures à 15 heures Un horaire habituel en Finlande. Plus tôt dans la journée, c’était une véritable autoroute, on aurait eu du mal à croiser avec les nombreux camions.»

Un arrêt intermédiaire s’impose. L’occasion de humer l’air, humide et froid. Nous sommes à 260 mètres sous terre. Johanna Hansen parque sa voiture dans «le bon sens», celui qui nous permettrait de repartir en vitesse en cas de problème.

«La sécurité est très importante, car l’environnement est hostile». En témoigne notre imposant équipement: masque à oxygène accroché à la taille, bottes de sécurité, lampe de poche et casque à visière baissée.

null Quelque part dans les entrailles d’Onkalo. Photo Donna Gallagher/Le Journal du Jura

«Nous laissons toujours la clé sur le contact. Et les voitures à essence sont proscrites à cause des risques de feu», explique-t-elle.

Pendant que Jyrki Limatainen, notre autre guide, soulève le couvercle d’une cuve de 8 mètres de profondeur, Johanna Hansen l’interpelle: «Tu viens de devenir grand-père, n’est-ce pas?» «Oui, il y a une semaine.» «Tu te rends compte, même ton petit-fils pourra travailler à ‹Onkalo› s’il le souhaite!»

Un pari risqué

Voilà qui explique certainement pourquoi les résidents de Rauma, au sud du site, accueillent si favorablement l’idée d’héberger sous leurs pieds les déchets nucléaires de tout un pays – selon les sondages de Posiva, seul 6% de la population s’y oppose –.

La ville de 39’000 habitants, située à trois heures au nord-ouest d’Helsinki, se voit en effet garantir des centaines d’emplois pour les trois générations à venir, et l’occasion de bénéficier d’une renommée internationale. Le chantier est un véritable poumon économique sans lequel la ville côtière peinerait à se développer davantage.

null Détail des capsules. Image Posiva

Les opposants existent quand même. «Mais tous les partis politiques du pays nous soutiennent. Même les Verts ne s’y opposent plus», scande encore Pasi Tuohimaa. «La population nous fait confiance, car nous ne barricadons pas nos infrastructures derrière de grandes clôtures électriques.»

«Ça y est, on est arrivé», souffle enfin Johanna Hansen, comme pour se fondre dans le décor. Au cœur de la roche, les voix résonnent plus que jamais. Les vastes et sombres cavités laissent difficilement l’ampleur de ce qu’elles abriteront d’ici une poignée d’années. Entre effervescence et néant.

«Onkalo» signifie «cave» en finnois. Une cachette nationale aux dimensions folles, ou le pari risqué de tout un pays pour résoudre la grande équation du nucléaire.

Donna Gallagher, Le Journal du Jura, avec l'ats

La centrale de Mühleberg ne contient plus de déchets nucléaires

Les derniers éléments combustibles ont été évacués de la centrale nucléaire de Mühleberg, dans le canton de Berne. La radioactivité a été réduite de plus de 99%.