Pas question pour Irène Wettstein de repartir tout de suite. «Attendez, il y a encore des femmes qui patientent pour les toilettes», crie-t-elle au peloton de pèlerines colorées qui a repris la route. Mais son appel a peu d’effet.

Le froid et la pluie sont venus perturber la pause de midi de la Marche bleue, sur la plage de Concise (VD). Ce 13 avril, personne ne souhaite vraiment prolonger le pique-nique plus longtemps.

Irène Wettstein attendra quand même. «C’est une question de solidarité féminine», sourit-elle. L’avocate fait partie des quatre initiatrices et marraines de la Marche Bleue, cette randonnée citoyenne de 224 km et 22 jours entre Genève et Berne, qui demande à la Suisse de respecter les accords de Paris sur le climat.

Marcher en travaillant

Si elle compte faire toutes les étapes, la Vaudoise n’a pas pris de vacances. Elle gère donc les dossiers de son étude tous les matins, par téléphone ou par mail. «Je travaille en marchant», sourit la quinquagénaire, qui avoue souffrir un peu de la rusticité des nuits. «Bientôt, je pourrai faire un best-of des abris PC suisses», s’amuse-t-elle.

J’espère que les personnes qui désespèrent se remobilisent et reprennent espoir.

Irène Wettstein, avocate et initiatrice de la Marche Bleue

Pour elle, cette marche est un moyen d’exprimer le «sentiment d’urgence» qui l’habite et de concrétiser son besoin d’agir pour le climat. «Je n’en peux plus d’attendre. J’espère que les politiques ressentiront ce signal de la population pour que les choses bougent. Mais aussi que les personnes qui désespèrent se remobilisent et reprennent espoir.»

Reportage en terres neuchâteloises avec la Marche bleue, entre Grandson et St-Aubin.

Grandson, le 13 avril 2023
Photo: Lucas Vuitel © LUCAS VUITEL

La Marche bleue est suivie essentiellement par des femmes, mais quelques hommes étaient aussi présents le 13 avril. Photo: Lucas Vuitel

Une visite marquante

Pour cette treizième étape, les nombreuses participantes et quelques participants sont 138 à relier Grandson (VD) à Saint-Aubin (NE). Durant les premiers kilomètres, une certaine euphorie se fait sentir à travers le groupe.

Il est arrivé dans son costume et nous, nous étions là, pantoises, avec nos chaussettes sales.

Laurence Piaget-Dubuis, marcheuse venue de Martigny (VS)

En cause: la visite du conseiller d’Etat écologiste vaudois Vassilis Venizelos, la veille au soir, dans l’abri PC de Grandson. «Il est arrivé dans son costume et nous, nous étions là, pantoises, avec nos chaussettes sales. J’avais l’impression d’être dans une autre dimension», se souvient Laurence Piaget-Dubuis.

Venue de Martigny (VS), cette artiste indépendante a «bossé à fond depuis des mois» pour pouvoir réaliser toutes les étapes de la Marche Bleue, un «acte fort» à ses yeux. «Cela invite à oser vivre autrement, à se délier de son confort. Je pense qu’elle peut inspirer des gens».

Les rôles clés, à pied ou à vélo

La quinquagénaire ne connaissait personnes avant de rejoindre le mouvement. Après treize jours, elle a hérité d’un gilet jaune d’«ange gardien». «J’ai upgradé», rigole-t-elle.

Les «anges gardiens» ont pour fonction de répondre aux inquiétudes ou soucis rencontrés par les participantes durant les étapes. Ils comptent parmi les rôles clés de la Marche bleue, à côté des personnes responsables de la coordination, de la logistique, ou de l’équipe médicale.

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Pendant que les participantes marchent, une équipe à vélo transporte le matériel pour la nuit et les ravitaillements. Photo: Lena Würgler

Depuis octobre dernier, l’organisation concrète de l’événement a été confiée à trois jeunes hommes, chargés de définir l’itinéraire, trouver des lieux d’hébergement, récolter des fonds.

Notre objectif, c’était 50 personnes par jour. Nous sommes à 150 en moyenne

Fabian Rousseau, coordinateur de la Marche bleue

Ce jour-là, deux d’entre eux s’occupent de transporter le ravitaillement et les «sacs pour la nuit» dans des vélos-cargo. Le dessinateur du parcours, Fabian Rousseau, lui, mène le cortège. «Mon but est de faire découvrir des lieux méconnus, comme cette réserve naturelle», explique-t-il en traversant la forêt alluviale des Corcelettes, entre Grandson et Vaumarcus.

Chargé de dessiner l’itinéraire, Fabian Rousseau mène le cortège au départ de Grandson. Photo: Lucas Vuitel

Son téléphone en permanence à la main pour s’assurer de l’itinéraire, il se dit heureux de constater que l’événement «prend de l’ampleur». «Notre objectif, c’était 50 personnes par jour. Nous sommes à 150 en moyenne», s’enthousiasme le Vaudois.

Cérémonie et ronflements

Après 17 kilomètres parcourus, les marcheuses atteignent le port de Saint-Aubin, terminus de l’étape. Les premières arrivées forment une haie d’honneur pour accueillir et applaudir les suivantes. «C’est devenu une tradition», explique l’une d’entre elles.

Sous les arbres du débarcadère, l’économiste Julia Steinberger s’adonne à une session de questions-réponses sur le dernier rapport du Giec, puis rejoint la salle de spectacle de Saint-Aubin, où se tient une réception officielle en présence de représentants des autorités de la Grande Béroche.

La charge de la transition écologique doit être portée par tous, y compris les communes

Bastienne Joerchel, politologue et marraine de la Marche bleue

«La charge de la transition écologique doit être portée par tous, y compris les communes», lance alors au micro Bastienne Joerchel, politologue et marraine de l’événement.

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A Saint-Aubin, les marcheuses – ici la politologue Bastienne Joerchel – sont accueillies par une haie d’honneur et des applaudissements. Photo: Lena Würgler

Le soir venu, une trentaine de personnes prend place autour des tables dans la salle de spectacle. Certaines ont profité des douches – chaudes – du débarcadère. Le menu du soir, végétarien, a été préparé par un traiteur.

«C’est la grande classe ce soir», s’exclame Laurence Piaget-Dubuis en savourant son dessert au citron. Elle s’était habituée à une cuisine moins sophistiquée, préparée par des bénévoles.

Durant le repas, une discussion s’enclenche au sujet des ronfleurs et ronfleuses présentes. Pour calmer les ardeurs, Fabian Rousseau demande de ne stigmatiser personne, mais invite «les personnes qui chantent la nuit» à s’installer dans la pièce voisine le moment venu.

La nuit tombée, chacune enfile son pyjama et installe sa natte de camping à même le sol de la salle de spectacle ou sur la scène. Les plus chanceuses profitent des quelques véritables matelas à disposition. Et les marcheuses s’endorment, tant bien que mal, à la douce lumière de la lune qui traverse la baie vitrée.

Tristesse du départ

Le lendemain, Fabian Rousseau réveille les troupes au son de «On a cassé la planète» («Il est où le SAV?») de Suzane. Une fois les tartines et le café avalés, une session de yoga s’improvise sur la place du port, toujours plus noire de monde.

Finalement, plus de 200 personnes rejoignent la zone de départ de la 14e étape, qui rejoindra Colombier (NE).

La marche est un acte positif et fédérateur: nous allons de l’avant, toutes ensemble

Julia Steinberger, économiste et marraine de la Marche bleue

Ce sera la dernière pour Julia Steinberger, l’une des initiatrices, qui doit quitter l’aventure pour préparer ses cours à l’Université de Lausanne. «J’ai adoré cette balade, les paysages traversés et les personnes exceptionnelles rencontrées».

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Trois des quatre initiatrices de la Marche bleue étaient présentes à Saint-Aubin (NE). De g. à d., Julia Steinberger, Bastienne Joerchel et Irène Wettstein.
Photo: Lena Würgler

L’experte du Giec espère de tout cœur que l’événement aura un impact, au moins sur les esprits. «Jusqu’à présent, la question du climat apparaissait comme quelque chose de négatif, de clivant entre la gauche et la droite. La marche est un acte positif et fédérateur: nous allons de l’avant, toutes ensemble».

Samedi 22 avril, la Marche bleue rejoindra Berne, où elle déposera sa pétition exigeant que la Suisse respecte ses engagements climatiques. Les initiatrices espèrent voir une foule bleue affluer sur la Place fédérale à 14h30 ce jour-là.

Climat: 4000 personnes pour l’arrivée de la Marche bleue à Berne

150 randonneurs ont effectué la dernière étape de la Marche bleue en faveur du climat, partie de Genève le 1er avril. À Berne, le rassemblement final a réuni 4000 personnes.