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Ecrire le dédale des jeux de l'amour à deux, sous l'ombre de Nietzsche

Le couple comme sujet littéraire semble un territoire sans fin. Les Vaudois de Paris Frédéric Pajak et Léa Lund se griffent avec ironie. Gerhard Meier, grand nom des lettres alémaniques, qui vient de disparaître, livre une évocation pudique de son épouse. Deux journaux de vie et de voyage d'un couple. L'écrivain prend la plume pour retracer un moment du parcours et se retourner sur la rencontre. Gerhard Meier (1917-2008) et Frédéric Pajak (1955) racontent l'interstice vécu avec leur épouse et la traversée intense de leur intimité. On ne veut pas tirer de parallèles artificiels entre deux récits que l'on pourrait légitiment trouver dissemblables et qu'on a lu avec une même émotion.

26 juil. 2008, 12:00

Les deux auteurs sont familiers de Nietzsche et des hauteurs de Sils Maria. Ils cultivent un goût pour la vie à l'écart. Pajak et Meier disent le besoin de frapper par l'écrit le quotidien sans s'attarder sur le geste. Frédéric Pajak le fragmente de cette façon: «Je ne dis pas la vérité, mais tout est vrai. Je parle un peu de ma vie avec Lea. Effleurant du bout de la plume la feuille quadrillée de mon carnet rouge, je sais par avance que l'ombre recouvre instantanément mes mots.» Gehrard Meier semble retarder par tous les moyens l'approche, sa manière de se transporter dans la fiction, mais le mouvement finit par apparaître: «Dorli, quelquefois, je pousse un peu tes souliers de jardin de côté, je balaie le feuillage apporté par le vent, les fétus, la terre sèche. Et quand je traverse Amrain, j'ai parfois l'impression de marcher à travers mes propres travaux d'écriture.»

«Habitante des jardins» laisse déferler avec la douceur de la contemplation les souvenirs de Dorli, la disparue avec qui Gehrard Meier, l'auteur de Niederbipp (dans la campagne soleuroise) a tout partagé. Il intègre son ombre au paysage: «Tu as encore photographié le sureau Dorli et surtout son tronc creux, avec l'oreille, cette grande oreille que nous nommions, à l'intention de nos petits enfants ou de nos visiteurs, l'oreille de la terre.» Une évocation Proustienne distante, prude marquée par la chrétienté, mais jamais naïve, toujours ardente. Les dessins vifs parfois brutaux de Lea Lund amènent d'emblée une tension au projet «L'étrange beauté du monde». Pajak, l'écrivain dessinateur, explique ainsi sa démarche dévote et aveugle aux côtés du trait de Lund: «Au fil du temps, ses dessins me sont devenus comme une seconde nature. J'ai eu envie de les accompagner comme un instrumentiste joue pour sa chanteuse. Je lui ai proposé d'écrire à côté de ses dessins sur nous, sur notre vie de couple, avec désinvolture, sans qu'elle en sache davantage». Et quand le croquis d'un couple d'Indiens en Afrique du Sud côtoie une phrase sur l'âme de Marina Tsvetaeva, on y croit. Gerhard Meier raconte comment le mariage métamorphose: «Je renonçai à l'architecture et à la littérature. Désormais, je fabriquais des lampes. Nous vivions dans le jardin maraîcher.» Lea Lund se dessine interloquée, dérangée et changée en proie aux «Particules élémentaires» de Michel Houellebecq. En guise de légende décalée et boiteuse, Pajak commente leurs différences: «Elle aime la musique, j'aime la lecture. Elle aime bouger, j'aime rester vissé sur une chaise. Elle aime sortir j'aime rentrer. Elle aime les garçons, j'aime les filles. Elle aime nager, j'aime couler. Elle aime se distraire, j'aime le labeur.»

L'ironie, la mélancolie, le lancinant rythment les pages de Pajak, alors que la lenteur d'une vie observée comme paysage se fraye un chemin chez Meier. Mais «Habitante des jardins» dans sa façon languide et romantique de dévisager le monde resplendit parfois de son éclat de ténèbres comme quand il songe à «La chanson ivre» de Nietzsche en ses termes: «L'homme à la moustache surgissait devant mes yeux, lui qui avait anticipé la vie sans dieu, s'était jeté au garrot d'un cheval et avait finalement rejoint le royaume des ombres - pour n'en plus revenir.» Le témoignage de Meier nous rappelle «Lettre à D» d'André Gorz par l'atemporalité magique du sentiment amoureux. / ACA

«L?étrange beauté du monde», de Frédéric Pajak et Lea Lund, éditions Noir sur Blanc, 2008. «Habitante des jardins» de Gerhard Meier, traduction de Marion Graf, éditions Zoé, à paraître mi-août 2008
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