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Ilka Schönbein, entre enfant sauvage et esthète raffinée

03 nov. 2007, 12:00

«Ilka aimerait vous voir devant son camion», dit l'attachée de presse du théâtre. La marionnettiste allemande a disposé devant sa maison grise sur roues, une caisse et un siège de guingois qui paraissent sortir de son imaginaire. Ilka Schönbein vit là, dans cet espace minuscule de métal et de bois, on le croyait rouge: «Le précédent n'existe plus, il m'a quitté». Le parc de Beau-Site bercé de soleil fournit le cadre idéal pour la rencontre avec cette femme qui aime dormir par mousses et bois. Dans le cadre du Festival de la marionnette, elle présentera «Chair de ma chair» ce soir à La Chaux-de-Fonds, une manière de la découvrir sur scène, «mon antre à conflits».

Elle paraît un peu angoissée, n'aime pas trop ce moment où l'on parle de soi. Elle sert sa tasse de soupe fort entre les paumes et commence par «pendant longtemps je ne donnais pas d'entretiens, je ne suis pas une femme de paroles». On sait tout cela, mais ce que l'on retient surtout de cette magicienne du lambeau, de cette femme frêle qui s'agrippe à ses créatures imaginaires, c'est l'état cotonneux dans lequel «Le voyage d'hiver» d'après Schubert nous avait laissé. Elle sourit, comme rassurée que la tendresse noire de son immatérialité soit venue nous caresser. Alors peu à peu affleurent les mots: «Lorsqu'une souffrance humaine me touche, j'ai envie de créer. En allemand, deux mots très proches signifient tout ce qui me préoccupe, «wunder» le miracle, et «wunde» la plaie. Comme un double terreau qui permet au spectacle de pousser...»

Si «Metamorphoses», sa première pièce aux variations indéfinies, ne reposait sur aucune matière théâtrale, elle commence aujourd'hui à intégrer un texte, mais pas n'importe lequel: «Pourquoi l'enfant cuisait dans la polenta», d'Aglaja Veteranyi. Un récit qui trouble particulièrement Ilka Schönbein: «Une année auparavant, je songeais à raconter une histoire d'une petite fille dans un cirque dont la maman suspendue à un fil tombait du ciel. J'étais surprise de retrouver cette obsession chez cette auteure roumaine, qui s'est donné la mort à Zurich, en 2002.» Le corps jeté dans l'eau mouvante, comme ceux des poètes Paul Celan et Ghérasim Luca.

Elle choisit de lire le texte de Veteranyi, «beaucoup, beaucoup», pour ouvrir un passage qui permette à la marionnette de surgir. Et dès que le visage arrive, Ilka reprend son rituel immuable, des heures de chorégraphie devant un miroir où elle tente d'évacuer l'intellect pour atteindre l'émotion à travers le visuel. On imagine ces deux phrases, «l'oignon cru, je l'aime surtout quand je peux l'écraser avec le poing. Ça fait gicler le c?ur», parsemer le corps, faire naître la scénographie, car la façon de se tenir à l'écart cultivée par Ilka Schönbein donne vie à des spectacles esthétiques, soignés.

A la fin des années 1990, le public d'Avignon regarde avec tendresse et curiosité le travail de rue si singulier de l'illusionniste. Là où les amuseurs règnent, elle évoque les meurtrissures de la Shoah, avec des créatures artisanales qui prolongent ses bras décharnés. Aujourd'hui encore, même si les grands théâtres européens se la disputent, elle se définit comme «une étrangère de la société». Alors, lorsqu'elle se retrouve plusieurs semaines dans le 18e arrondissement de Paris, comment le vit-elle? «La nature me calme trop, je me nourris aussi de l'énergie des villes, même si je reste en dehors. Je m'offre de temps en temps une plongée dans cette baignoire d'astres.» / ALC

La Chaux-de-Fonds, Beau-Site, aujourd?hui, à 20h30
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