Le Casino de Neuchâtel, comme d’autres, a souffert à cause des mesures liées au Covid-19. Mais, avec 2% de part du marché, ses affaires restent florissantes. Les rapports annuels de la Commission fédérale des maisons de jeu (CFMJ) montrent une marge bénéficiaire nette supérieure à 10% avant la pandémie de coronavirus.

Alors que les casinos suisses ont jusqu’à fin mai 2022 pour déposer leur dossier en vue du renouvellement de leur concession qui arrive à échéance fin 2024 (le Conseil fédéral tranchera en 2023), nous nous sommes penchés sur le business de l’établissement de la Rotonde (sa direction a refusé de répondre aux questions d’«ArcInfo»).

Hormis à ses tout débuts, le Casino de Neuchâtel n’a cessé d’engranger de juteux bénéfices. L’année de son ouverture (fin novembre 2012), le Casino de Neuchâtel avait bouclé ses comptes avec une perte de 2,164 millions de francs.

Mais ce n’était pas un mauvais présage. En 39 jours d’exploitation, les joueurs avaient laissé, sur le tapis des sept tables de jeu et dans les 154 machines à sous, un produit brut des jeux (les mises moins les gains distribués, ou PBJ) de 2,4 millions.

Le vent en poupe

En 2013, le Casino terminait l’exercice légèrement dans le rouge avec une perte de 138 000 francs. Sur cette première année complète d’exploitation, le Casino de Neuchâtel avait tout de même réalisé un PBJ de 19,288 millions de francs.

Et le volume des mises n’a fait qu’enfler ensuite, avec un plafond à près de 25 millions de francs en 2018 et 2019. Avec le Covid et les fermetures temporaires qui s’en sont suivies en raison du confinement (près de 4 mois en 2020 et à nouveau en 2021), le Casino de Neuchâtel a encore enregistré un produit brut de 15 millions en 2020, générant un bénéfice de 403 000 francs.

En 2021, les comptes de l’établissement neuchâtelois affichent la même santé que l’année précédente, selon les chiffres communiqués par la Fédération suisse des casinos – le rapport de 2021 de la CFMJ n’a pas encore été publié.

Des sommes astronomiques

Les sommes que manient les 21 casinos établis en Suisse donnent le tournis. En 2019, ils ont généré un produit brut de 742,5 millions de francs et de 452 millions en 2020 (ils avaient dépassé le milliard de francs en 2007).

Des montants colossaux – qui représentent donc les pertes des joueurs – mais qui, en bonne partie, ne font que passer entre les mains des casinos. Car l’Etat se sert grassement dans leurs recettes, dont la majeure partie ruisselle des machines à sous.

Dans le lot qui alimente cette manne figurent des joueurs à problème. Une étude reprise par la CFMJ établit le coût social de ces personnes dépendantes au jeu à quelque 70 millions de francs par an. Un chiffre qui serait huit à dix fois plus élevé, relèvent les économistes de la santé en se fondant sur une étude réalisée en 2012 par l’Institut de recherches économiques de l’Université de Neuchâtel.

La loi sur les jeux d’argent dispose qu’un impôt (40% au minimum, 80% au maximum) est prélevé sur les gains bruts des casinos. Ce taux peut être revu à la baisse pour des casinos en zone touristique par exemple. Mais il est surtout progressif en fonction du produit brut réalisé.

En 2020, le taux moyen s’est établi à 43,75% des gains des casinos. Celui de Neuchâtel a été imposé à 40,51%, soit six millions en chiffres ronds. Cet impôt sur les jeux terrestres (par opposition aux jeux en ligne) a rapporté à la Confédération 248 millions en 2020 contre 312 millions en 2019. Mais cela ne met pas pour autant les casinos sur la paille. En 2019, les fonds propres des actionnaires des 21 casinos suisses ont rapporté des dividendes de 80,3 millions de francs et encore 49,5 millions en 2020.

Où va tout cet argent?

Le gros de cette «cagnotte» va renflouer la caisse de l’AVS-AI. Depuis l’ouverture des casinos en 2002, le fonds de compensation de cette assurance sociale a reçu 6,067 milliards de francs. La Confédération consacre à l’AVS-AI l’entier du produit brut des jeux des huit casinos disposant d’une concession de type A. Mais de jolis montants tombent également dans les arches des cantons.

La Berne fédérale reverse 40% de cet impôt aux cantons qui accueillent l’un des treize casinos de type B, comme à Neuchâtel. Pratiquement, la concession B limite le nombre et le type de jeux proposés ainsi que le montant des mises et des gains par rapport aux «grands casinos».

Les cantons abritant un casino de type B ont touché 1,056 milliard de francs de la part de la Confédération, depuis l’ouverture des casinos en 2002. Le peuple suisse a voté la levée de l’interdiction des maisons de jeu en mars 1993; la loi y relative a été adoptée en 1998 et est entrée en vigueur en avril 2000. Elle a été remplacée en 2019 par la loi sur les jeux d’argent (Ljar).

Le canton de Neuchâtel a ainsi bénéficié d’une rétrocession d’environ 31,5 millions de francs depuis que le casino a ouvert ses portes, le 23 novembre 2012. La Ville de Neuchâtel perçoit également son dû puisque le casino s’acquitte ensuite de l’impôt sur le résultat, comme toute entreprise qui réalise des bénéfices.

L’irruption des jeux en ligne

Autorisés depuis 2019 par la Ljar, les jeux par internet constituent une nouvelle source de gains pour les casinos. Sous le nom de Hurrah, le Casino de Neuchâtel exploite 119 jeux en ligne depuis le 15 juillet 2021. Le succès a immédiatement été rendez-vous: les joueurs online ont rapporté 1,381 million de francs au casino durant cet exercice, en moins de six mois.

Pour doper les jeux en ligne des casinos suisses, il a fallu interdire les plateformes opérant de l’étranger. Car là aussi, les montants en jeu étaient colossaux.

Une étude de PWC réalisée en 2017 estimait à quelque 150 millions de francs le produit brut des jeux dans les bars et clubs et à plus de 100 millions pour les offres en ligne non autorisées en Suisse. En 2021, les jeux sur internet des 11 casinos en ligne ont généré un PBJ de 234 millions de francs.

Le blocage de l’accès aux offres étrangères a été mis en place en juillet 2019 par la Confédération. A la fin de l’année écoulée, 466 noms de domaine de fournisseurs étrangers non autorisés ont été bloqués.

La fondation arrose

Le Casino de Neuchâtel c’est aussi un «jackpot pour la vie associative du canton de Neuchâtel», affirme l’établissement sur son site internet. Créée en 2015 déjà, la Fondation Casino Neuchâtel (FCN) fonctionne comme un arrosoir pour les entités d’utilité publique.

Chaque année, la fondation distribue près d’un demi-million de francs au titre de soutien à la vie associative de l’ensemble du canton. «Cela profite à beaucoup de monde», se réjouit Philippe Bauer, président de la FCN.

Le conseiller aux Etats PLR neuchâtelois indique que les demandes d’aide financière sont traitées quatre fois l’an par les sept membres du conseil de fondation. Celui-ci est composé d’un membre du casino, de représentants de la Ville de Neuchâtel, de représentants du tourisme et des affaires. «A chacune de ces séances, nous soutenons une quarantaine de projets. Les montants alloués ne dépassent pas 4 à 5000 francs par objet. Ce qui représente 400 000 à 500 000 francs par année», relève Philippe Bauer.

Guy Bovet accompagne à l'orgue un film muet à la collégiale