La compétition cannoise nous a offert hier une «Tournée» en guise d'apéritif de bienvenue. Mathieu Amalric est celui qui régale (comme réalisateur). Et aussi celui qui trinque (via le personnage qu'il interprète: père dépassé, impresario en difficulté). Le beau rôle, il le réserve aux femmes qui l'entourent: rondes, tatouées, dénudées, provocantes, ces artistes de cabaret américaines sont des anti-Carla Bruni ultimes.
«Il faut bien que le corps exulte, de temps en temps», chantait Brel. Le corps des filles de «Tournée» exulte, lui, à chacune de leurs apparitions. Artistes de cabaret, elles essaient très fort de s'affranchir des hommes. «This is OUR show!», rugissent-elles au petit mec qui tente de leur organiser une tournée française triomphale (Le Havre-La Rochelle-Toulon). Sur des scènes de music-hall, ces Castafiore en string panthère font lever les foules avec des numéros qui ne passeront jamais chez Drucker.
On devine ce qui a séduit Amalric chez cette authentique troupe américaine du New Burlesque. Dans le bain d'eau tiède culturel, ces bombes éclatent toutes les conventions. Dans un au-delà du bon goût, «Tournée» met en question la fonction même de tout spectacle, dans notre société du spectacle. Qu'apporte l'artiste à l'heure où chacun se donne désormais en spectacle? Dans le film, Amalric doit même retenir une caissière de supermarché en service de montrer ses nichons («Je vous en prie, c'est un métier!...»). L'exhibitionnisme n'est pas l'art: il faut du travail, de l'invention. Le personnage d'Amalric peut faire penser aux premiers Fellini («Les feux du music-hall», «Les Vitelloni»). L'horizon du film, c'est surtout John Cassavetes: le cinéaste de «Love Streams» savait traquer l'humanité chez les parias et les oiseaux de nuit. Aussi éloignées des fantasmes rances du porno que du carcan puritain, les filles de «Tournée» énoncent à notre intention une sagesse à méditer: «Ça prend du temps d'apprendre à aimer son corps».