Depuis le début de la guerre dans la bande de Gaza, les relations entre votre agence et Israël n’ont cessé de se dégrader. L’UNRWA compte environ 13.000 agents dans la bande de Gaza. Alors qu’ils sont confrontés à une crise humanitaire sans précédent, leur travail est-il affecté par ces tensions?

Au niveau purement opérationnel, je dirais que les mécanismes de communication fonctionnent très bien entre l’UNRWA et les autorités israéliennes. Aujourd’hui, nous avons 4000 employés actifs au quotidien dans la bande de Gaza. Parmi nos 13.000 employés, il y a par exemple des enseignants, qui ne peuvent pas travailler en ce moment.

Tous vivent dans des conditions aussi précaires que les personnes à qui ils apportent assistance: dans des abris, avec les mêmes préoccupations par rapport à la sécurité de leur famille lorsqu’il y a des opérations militaires. Malgré cela, c’est un personnel extrêmement mobilisé au quotidien pour aider la communauté, avec les maigres ressources dont nous disposons.

Ensuite il y a la partie plus politique, avec, de la part d’Israël, un objectif déclaré de se débarrasser de l’agence dans la bande de Gaza mais aussi à Jérusalem et en Cisjordanie.

Elle est en effet accusée de perpétuer le statut de réfugié politique pour des millions de Palestiniens, et considérée comme un obstacle à la paix alors qu’en réalité, si l’agence existe encore aujourd’hui, c’est parce qu’il n’y a pas de solution politique. L’agence pourra cesser ses activités le jour où existeront un État et une administration à qui remettre nos activités, lesquelles se focalisent surtout sur le développement humain: l’éducation, la santé.

Craignez-vous pour la survie de l’UNRWA?

Au-delà de la question de l’agence, je suis surtout inquiet pour l’avenir du statut de réfugié palestinien. S’il venait à disparaître, ce serait un signal très clair, à l’égard des Palestiniens, que la communauté internationale leur tourne le dos. Cela indiquerait que leur aspiration à l’autodétermination risque de rester lettre morte. C’est pour cette raison que je me suis rendu devant l’Assemblée générale des Nations unies, porteur de plusieurs messages par rapport à la question du démantèlement de l’UNRWA.

Le premier est de dire: attention, à court terme, si vous démantelez la principale agence opérationnelle, qui est une plateforme pour toute la communauté humanitaire dans une crise sans précédent, vous risquez de rendre la tâche encore plus difficile. Ensuite, à moyen terme: dans l’hypothèse d’un cessez-le-feu, on va entrer dans une longue période de transition, il y aura beaucoup d’attentes de la part de la population mais l’administration ne sera pas forcément capable de délivrer des services publics.

Sans l’UNRWA, qui va prendre en charge l’éducation, la santé? Il y a aujourd’hui des centaines de milliers d’enfants vivant dans les décombres, profondément traumatisés. Qui va les remettre dans un environnement éducatif, si ce n’est l’UNRWA, avec ses écoles et ses professeurs? Or, plus on attend, plus on sème les graines de futurs ressentiments.

Que répondez-vous aux accusations d’Israël au sujet de ces employés de l’UNRWA qui auraient participé aux attaques terroristes du 7 octobre?

Ces allégations m’ont été transmises oralement, le 18 janvier, à Tel-Aviv. Je les ai prises très au sérieux. J’ai été choqué par leur nature. Rapidement j’ai pris plusieurs décisions: la première a été de licencier ces employés, la seconde de demander au secrétaire général des Nations unies une enquête interne afin d’établir les faits. Nous avons demandé à l’État d’Israël et à tous les autres États membres de coopérer avec cette commission d’enquête.

Si des faits devaient être établis, il y aurait évidemment une suite judiciaire. En parallèle, nous avons demandé une revue de tous les mécanismes de gestion des risques dans l’organisation, principalement les risques liés à des questions de neutralité, c’est-à-dire toutes les questions de possibles collusions avec des organisations, politiques ou autres.

C’est une revue qui est en cours avec trois institutions scandinaves et sous l’autorité de l’ancienne ministre des Affaires étrangères, Catherine Colonna. Le rapport final sera publié le 20 avril et j’attends ses recommandations pour savoir quels sont les domaines où nous pouvons continuer d’améliorer nos mécanismes internes.

Israël vous ayant récemment refusé l’accès à la bande de Gaza, votre dernier séjour remonte à janvier. En deux mois, comment la situation a-t-elle évolué?

Les alertes que nous avons lancées sur l’impact de ce siège imposé à la bande de Gaza sont en train de se concrétiser. Les experts en nutrition font maintenant état d’une situation catastrophique pour plus de la moitié des gens. La faim s’est répandue, tout le monde aujourd’hui la rencontre à des degrés différents. L’entrée dans la phase de famine est une réalité. Pour la première fois, des enfants sont morts de déshydratation ou de faim. C’est une situation que j’ai décrite à plusieurs reprises comme artificielle.

Il est absolument inédit qu’au XXIe siècle, on puisse voir se répandre cette faim sous nos yeux alors qu’on sait quelle est la solution. C’est vraiment simple, c’est une question de volonté politique: inonder le marché avec de la nourriture et des biens humanitaires, en favorisant l’entrée des camions à un niveau équivalent à celui d’avant la guerre, où près de 500 entraient chaque jour dans la bande de Gaza.

On n’est pas dans une situation comme celle du Sahel ou de l’Afrique de l’Est où des famines ont été dues à des situations complexes, entre conflits et changement climatique ou sécheresse. On parle d’une population, au Moyen-Orient, qui n’a jamais connu la faim, à qui cette situation a été imposée de manière extraordinairement rapide, en quatre mois seulement.

Ce message d’alerte sur le risque de famine est répété, jour après jour, depuis des mois. Mais avez-vous le sentiment d’être entendu?

Ce que vous êtes en train d’évoquer, c’est la banalisation de l’inacceptable. C’est le début du manque d’empathie, de la déshumanisation. C’est absolument terrible et j’espère que ceux qui pensent que nous ne sommes pas entendus ont tort. Mais je crains qu’effectivement il y ait une incapacité à ressentir l’empathie nécessaire afin d’éviter que l’inacceptable devienne acceptable: cette famine, qui serait une tache sur notre conscience collective.

Guillaume de Dieuleveult/Le Figaro

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