Comment concevez-vous votre fonction de présidente?
Micheline Calmy-Rey: Outre la représentation à l'étranger, que j'assume déjà en tant que ministre des Affaires étrangères, il s'agit de conduire le collège gouvernemental. Son bon fonctionnement est en soi un défi, surtout en année électorale. Mais la présidence est aussi une formidable opportunité de rencontrer les Suissesses et les Suisses et de porter leurs attentes au Conseil fédéral. C'est un rôle de médiatrice que je prends très au sérieux.
Des voix s'élèvent pour prolonger la durée de la présidence et renforcer ses compétences. Jugez-vous cette évolution souhaitable?
M.C.-R.: C'est une position que j'ai défendue il y a quelques années. La prolongation de la présidence n'est pas la question la plus importante. Par contre, la Suisse a un problème d'adaptation à la réalité internationale. La fonction de conseiller fédéral n'est équivalente ni à celle de ministre, ni à celle de président. Je suis donc ouverte à une discussion institutionnelle.
On parle beaucoup de restaurer la concordance au sein du Conseil fédéral. C'est votre ambition?
M.C.-R.: Le président a effectivement un rôle à jouer pour assurer un bon fonctionnement du collège. Mais celui-ci a plus mauvaise presse qu'il ne le mérite. Sur les questions européennes, par exemple, il a prouvé qu'il pouvait décider, avoir une ligne visible et cohérente et avancer, même si certains de ses membres sont plus enthousiastes que d'autres.
Y a-t-il une alternative à la politique de concordance?
M.C.-R.: C'est la condition sine qua non pour que nos institutions fonctionnent. Je suis une Genevoise qui a vécu ce qu'on a appelé le gouvernement monocolore. Cela s'est traduit par un échec. Le système suisse est fondé sur la recherche du consensus. Cette formule est la seule à même de répondre à la conduite d'une démocratie semi-directe comme la nôtre.
Le caractère multiculturel de la Suisse est en train de s'accentuer avec une forte immigration musulmane. Que pensez-vous de l'idée d'un enseignement obligatoire des droits de l'homme?
M.C.-R.: C'est une idée qui me semble aller dans le sens de la recherche de valeurs communes plutôt que de se cantonner dans une identité fermée aux autres. Voyez le débat sur les décorations de Noël à l'école. Je pense qu'il ne faut surtout pas les interdire. Mais cela ne doit pas nous empêcher de valoriser d'autres fêtes religieuses. C'est cela l'esprit de la Suisse: chercher ce qui unit mais ne pas nier la diversité. Cela dit, il est bien clair que chacun est tenu de respecter l'ordre constitutionnel suisse, les lois et les règles de fonctionnement en vigueur dans notre pays. Il n'y a pas de régime particulier pour l'une ou l'autre communauté.
Les socialistes souhaitent que vous interveniez davantage dans le domaine de la politique intérieure
M.C.-R.: Aujourd'hui, on ne peut plus prétendre vivre avec un modèle purement national. Comme ministre des Affaires étrangères, je m'efforce d'expliquer aux Suissesses et aux Suisses les liens qui existent entre ce qui se passe à l'étranger et le déroulement de leur vie quotidienne, que ce soit dans le domaine de la santé, de l'environnement, des migrations ou des guerres civiles. En ce sens, je m'investis aussi en politique intérieure.
Vous avez acquis un rayonnement international en vous faisant l'avocate d'une diplomatie publique. Allez-vous continuer sur cette voie?
M.C.-R.: La diplomatie publique consiste d'abord à rapprocher la politique étrangère des Suissesses et des Suisses. Elle consiste aussi à rendre publiques nos positions pour tenter d'influencer certaines décisions ou positions. Mais c'est un moyen qui est utilisé parallèlement à la diplomatie traditionnelle, plus discrète. Nous avons usé de la diplomatie publique lorsque nous avons annoncé la position de la Suisse sur l'indépendance du Kosovo. Et nous avons ainsi atteint nos objectifs en termes d'influence.
Cela suppose une ligne claire. Lorsque les conseillers fédéraux interviennent en ordre dispersé à l'étranger, à l'instar de Christoph Blocher à Ankara, cela ne fragilise-t-il pas votre politique?
M.C.-R.: Il est impératif pour un pays comme le nôtre de parler d'une seule voix à l'étranger. C'est la raison pour laquelle, en mai 2005, j'ai proposé au Conseil fédéral une meilleure coordination des efforts en matière de politique étrangère. C'est un exercice difficile. / CIM