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Cet hiver, la Suisse pourrait manquer d’électricité, et le Conseil fédéral a réitéré mercredi ses appels aux restrictions volontaires. Dans le scénario le plus extrême, les autorités se verront contraintes à mettre en place des «délestages cycliques». Soit le fait de couper le courant pendant plusieurs heures dans certaines régions pour que les autres puissent continuer à être approvisionnées correctement.

Qu’impliquerait un tel scénario sur notre vie quotidienne? Voici ce à quoi nous pouvons nous attendre.

Le délestage, à quel moment?

Yves Fritsché est responsable d’exploitation des réseaux électriques de Groupe E et chargé de la région qui couvre la Suisse occidentale pour l’Organisation pour l’approvisionnement en électricité en cas de crise (Ostral). Il insiste: «une telle mesure ne serait prise que si toutes les autres n’ont pas suffi à économiser assez d’électricité, soit, selon les estimations, s’il manque plus de 30% du courant nécessaire pour répondre aux besoins du pays. La période la plus risquée se situe à la fin de l’hiver.»

Concrètement, explique-t-il, «les consommateurs seraient prévenus un peu à l’avance et chaque zone garderait le même horaire de coupures d’électricité pendant sept jours. Puis, il serait décalé d’une heure chaque semaine, pour que chaque région soit affectée 'équitablement'.» Le spécialiste prévient: «Il faut comprendre que le délestage n’est pas une mesure qui est censée ne durer que quelques jours. On parle d’un mois au moins.»

Des cycles de 4 heures sans électricité

Pour choisir quel secteur couper, chaque distributeur d’électricité a divisé son réseau en trois parties équivalentes à 33% de l’énergie totale qu’il fournit. Si le délestage est décidé par le Conseil fédéral, le distributeur les «éteindra» alors les unes après les autres lors de l’entrée en vigueur de la décision, indique l’expert.

«Des quartiers d’une même ville pourraient se retrouver sans électricité à des moments différents. Contrairement à ce qui a pu être dit, on ne couperait pas l’Arc lémanique, puis la région zurichoise; les lieux touchés seraient beaucoup plus petits.»

Dans la situation extrême d’un délestage, il est prévu d’arrêter l’électricité pendant quatre heures d’affilée avant de la rallumer pendant huit heures (et ainsi de suite). Cette fenêtre de huit heures avec électricité pourrait être réduite à quatre heures dans le pire des cas. Chaque habitant pourrait ainsi vivre deux à trois coupures par 24 heures, réparties entre le jour et la nuit.

Qu’est-ce qui ne fonctionnerait plus?

«Les conséquences seraient considérables pour l’économie et la société. Dans une telle situation, il faut se rendre compte qu’on serait quasiment forcés de rester chez nous», alerte Yves Fritsché.

Durant les coupures d’électricité, les lampes de toutes sortes ne fonctionneront plus, on s’en doute, mais aussi l’ensemble de l’électroménager – frigos, plaques de cuisson électriques… – et de l’électronique – bornes Wi-Fi, ordinateurs… – En bref, tout ce qui est branché sur secteur. Moins attendu: l’eau ne parviendrait plus dans les robinets. Les pompes, nécessaires à son acheminement, ne tourneraient plus. Même chose pour les stations d’épuration.

En fonction des quartiers non alimentés, il est possible que le réseau téléphonique soit coupé en tout temps.

Yves Fritsché, chargé de la région Ostral qui couvre la Suisse occidentale

La plupart des chauffages seraient aussi hors service. Même si elles sont alimentées au gaz ou au mazout, les chaudières utilisent de l’électricité pour déclencher leur brûleur ou permettre la circulation d’eau chaude dans les radiateurs. Les pompes à chaleur ont aussi besoin d’électricité pour fonctionner. Reste le bois, dans les cheminées ou poêles, qui ne sont pas touchés, ou certains systèmes à charbon. De nombreux poêles à pellets sont en revanche conçus pour fonctionner avec de l’électricité.

A noter: la grande majorité des panneaux solaires ne produiraient plus non plus d’électricité, car ils doivent être connectés au réseau pour fonctionner correctement. Seuls ceux installés avec un système électronique supplémentaire et une batterie pourraient être utilisés comme source d’énergie.

Transports, bancomats, réseau téléphonique…

Tout le réseau de transport serait aussi touché. De nombreux tunnels seraient fermés, car leur système de ventilation serait arrêté. Le réseau de trolleybus serait mis à mal. Les voitures thermiques pourraient rouler, mais les stations-service seraient hors service pendant la coupure, à moins qu’elles soient dotées d’une alimentation de secours. Même les feux rouges seraient à l’arrêt!

Les bancomats et les moyens de paiement électroniques seraient aussi affectés. Les commerces, cabinets médicaux et pharmacies seraient touchés, comme les systèmes de sécurité. Les appareils respirateurs utilisés à domicile, par exemple, seraient aussi inutilisables.

Les antennes de téléphonie mobile des trois opérateurs (Salt, Sunrise, Swisscom) disposent d’une autonomie d’au moins une heure sur batterie.

Christian Grasser, directeur de l’Association suisse des télécommunications

Si les téléphones portables fonctionnent sur batterie, le réseau téléphonique devrait être fortement limité, voire indisponible dans les zones touchées par les délestages. «Les antennes de téléphonie mobile des trois opérateurs (Salt, Sunrise, Swisscom) disposent d’une autonomie d’au moins une heure sur batterie», précise Christian Grasser, directeur de l’Association suisse des télécommunications.

Dans le pire des cas, la panne de réseau pourrait être plus large: «En fonction des quartiers non alimentés, il est possible que le réseau téléphonique soit coupé en tout temps», indique Yves Fritsché. «Il est important que les unités centrales des réseaux (centres de données et nœuds) soient alimentées en permanence en électricité, sinon les antennes de téléphonie mobile ne fonctionneraient effectivement pas non plus dans les zones où l’électricité est disponible», confirme Christian Grasser.

Pour lui, ces unités devraient toutefois être protégées d’éventuelles coupures au vu de leur importance systémique. Quoi qu’il en soit, elles peuvent être alimentées par des groupes électrogènes pendant un certain temps.

En savoir plus: en consultant le dossier de la Confédération sur les risques engendrés par une pénurie d’électricité

Sur quoi pourra-t-on encore compter?

Il est prévu que les services essentiels au pays continuent à être alimentés. Hôpitaux, services de secours, prisons, approvisionnement en produits de première nécessité en font partie. Le gouvernement doit encore en définir précisément les contours – de premières informations sont attendues dans les prochaines semaines. Mais un problème subsiste: ce n’est pas toujours possible techniquement d’isoler les bâtiments concernés du reste du réseau électrique.

«Certains hôpitaux, comme le Centre hospitalier universitaire vaudois (Chuv), possèdent leur propre voie d’approvisionnement, mais des lieux de soins plus petits sont liés à tout un quartier. Il faudrait alors maintenir l’ensemble sous tension si on ne veut éviter les coupures», explique Yves Fritsché. Dans tous les cas, souligne-t-il, tous les consommateurs concernés, y compris les hôpitaux, devraient réduire leur consommation.

Trains sur leur propre réseau

Pour communiquer, il resterait le réseau Polycom, utilisé par la police, les services de sauvetage, l’armée ou les autorités, qui peut être maintenu grâce à des groupes électrogènes.

«Les trains pourraient continuer à fonctionner, car ils bénéficient de leur propre réseau d’électricité. En revanche, dans une telle situation, les compagnies seraient dans l’obligation de faire des économies d’énergie et le Conseil fédéral pourrait définir que le réseau ne peut être exploité que pour les transports de marchandises essentielles par exemple», détaille l’expert.

Ce scénario catastrophe est-il réellement envisageable? «Je reste optimiste, répond notre interlocuteur. Si tout le monde est solidaire et fait des efforts, on peut éviter le pire.» Mais, ajoute-t-il, «ce que l’on peut dire, c’est que dans le cas d’un hiver rude et d’un automne sec, on risque réellement de manquer d’énergie pendant les mois de février et mars.»

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