Tous les directeurs cantonaux des finances font front commun contre l'initiative socialiste ?pour des imp?ts ?quitables? qui sera soumise au peuple le 28 novembre. Tous, ? l'exception des ministres socialistes et ?cologistes. Cela revient ? dire que les ?lecteurs devront trancher entre deux visions du r?le de l'Etat. Pour clarifier le d?bat, nous avons confront? l'ancien grand argentier valaisan Jean-Ren? Fournier au s?nateur socialiste Alain Berset. Face-?-face.
Les cantons romands pratiquent des taux d'imposition plus lourds que les minima requis par l'initiative. N'auraient-ils pas int?r?t ? soutenir ce projet qui r?duirait le diff?rentiel avec les paradis fiscaux de Suisse centrale?
Jean-Ren? Fournier: Jusqu'? pr?sent, le Valais s'en est bien tir? alors m?me que le taux marginal d'imposition atteint 29% pour les revenus sup?rieurs ? 300 000 francs. Il faut croire que la qualit? de vie que nous offrons compense ce d?savantage. Les gouvernements cantonaux combattent l'initiative avant tout pour des raisons de principe. Chaque canton doit pouvoir d?terminer ses propres bar?mes fiscaux en fonction de son propre g?nie. Ce principe ne tol?re aucune exception. Si l'on donne le petit doigt, la Berne f?d?rale finira par d?couper le costume fiscal des cantons. Or la concurrence fiscale favorise une gestion saine de l'Etat.
Alain Berset: L'initiative ne s'attaque pas ? la concurrence fiscale entre les cantons. Elle ne s'en prend qu'aux abus de cette concurrence et ne touche que 1% des contribuables. Depuis une dizaine d'ann?es, on assiste ? des d?rives qui pourraient mettre ? mal la solidarit? entre les cantons. Elles ont ?t? d?nonc?es notamment par la conf?rence des ministres cantonaux des finances et par les grandes villes qui en ont assez que certains cantons baissent les imp?ts tout en profitant des co?teuses infrastructures mises ? disposition par les grands voisins.
La souverainet? fiscale en mati?re cantonale est quand m?me un des principes qui r?git la Suisse?
A.B: Effectivement, mais elle est d?j? un peu cadr?e. La loi d'harmonisation formelle des imp?ts directs a aussi des cons?quences mat?rielles. Par exemple, il est aujourd'hui interdit ? un canton de ne pas pr?voir de d?duction pour enfants. Cela montre bien qu'une certaine action coordonn?e existe et qu'elle est accept?e par tous.
J.-R.F: Il est vrai qu'en 2006, le canton d'Obwald est all? trop loin en introduisant des bar?mes d?gressifs pour les grandes fortunes. Le Tribunal f?d?ral a r?tabli le principe de la progressivit? de l'imp?t et je m'en r?jouis. Mais l'initiative socialiste va plus loin en imposant un corset aux cantons et aux citoyens. Elle toucherait 1% des contribuables qui paient les 35% de l'imp?t f?d?ral direct. Pourquoi prendre le risque de faire fuir cette cat?gorie de revenu et de faire payer ces 35% par la classe moyenne? La concurrence s'exerce aussi au niveau international. Je vous rappelle que l'Allemagne et l'Autriche n'ont pas d'imp?t sur la fortune.
A.B: L'initiative n'emp?chera pas les cantons de d?velopper leur propre strat?gie en mati?re fiscale. Mais pour cela, il faut ?viter des d?rapages et mettre fin au comportement de passager clandestin d?velopp? par quelques cantons de Suisse centrale. Les tr?s gros revenus qui perdraient certains de leurs privil?ges n'iraient pas bien loin. Ils pourraient par exemple s'?tablir dans les cantons romands qui ont actuellement un bar?me dissuasif pour cette cat?gorie de revenu et qui ne sont pas touch?s par l'initiative. La concurrence fiscale b?n?ficie ? une faible minorit?. L'immense majorit? des contribuables n'a tout simplement pas le choix. Un d?m?nagement pour des raisons fiscales n'est int?ressant que pour de tr?s hauts revenus qui peuvent diviser par deux leur facture d'imp?t en quittant B?le pour Schwyz.
J.-R.F: Dire que cela ne changerait rien pour l'immense majorit? des contribuables, c'est m?conna?tre la r?alit?. Comme ancien ministre des finances, je peux vous dire que la concurrence fiscale est le fruit d'une volont? politique qui nous a mis dans une position tr?s enviable au niveau europ?en. Tout le monde est concern?. Lorsque des entreprises viennent s'installer dans un canton, le contexte fiscal est essentiel.
A.B: Ce n'est pas la concurrence fiscale qui a permis ? la Suisse de maintenir des bar?mes relativement bas en comparaison internationale. C'est la d?mocratie directe. Sinon, on n'aurait pas un taux qui est quatre fois plus bas ? Wollerau (SZ) que dans une commune du canton de Neuch?tel. A Wollerau, le taux marginal est de 7% au-dessus de 250 000 francs ou de 420 000 francs pour les couples. Avec cela, il est exclu de financer tous les services souhait?s par la population. C'est donc la classe moyenne zurichoise qui est mise ? contribution pour financer l'offre culturelle, sanitaire ou universitaire. En 2006, la Conf?rence des directeurs cantonaux a publi? un communiqu? disant que la concurrence fiscale pouvait poser des probl?mes et qu'un groupe de travail serait mis en place. Rien n'a ?t? fait. Il est donc logique de proposer ? la population de poser une r?gle tr?s cibl?e.
J.-R.F: La d?mocratie directe plaide en faveur de la concurrence fiscale. A l'?poque, comme mes coll?gues de cette Conf?rence, j'ai condamn? l'attitude du canton d'Obwald. Ce cas a ?t? r?gl? par le Tribunal f?d?ral ? satisfaction.
A.B: Il n'y a pas qu'Obwald?
J.-R.F: Oui, mais les autres cantons ne font qu'appliquer les principes d'une concurrence fiscale saine. /CIM