Le premier «run» - première manche - est prévu à midi. Pour le jeune Julien, également ceinture marron de judo, tout va très vite. Car en catégorie Production (skis de descente de 2,25 m au maximum), l'équipement ressemble en tout point à celui d'un descendeur de Coupe du monde. «Tout doit être homologué par la Fédération internationale (FIS)» confie-t-il. «La combinaison, le casque et les bâtons.» «Seule la pointe des skis peut être un peu rabotée» coupe son père. «Car à haute vitesse, ça flotte un peu...» La catégorie la moins chère donc.
Pour Jean-Marc, c'est une autre histoire. Qui va bien prendre une demi-heure. Lui concourt chez les pros, avec le matériel du parfait kaéliste: combinaison étanche en plastique (orange, du plus bel effet...), casque spécial, skis de 2,40 m aussi larges que ceux de Simon Ammann et bâtons lestés (1,5 kg) de fabrication maison. C'est toutefois d'abord une autre combinaison qu'il enfile. Une sorte de deuxième peau. «C'est obligatoire en cas de chute» explique-t-il. «A cette vitesse, cela peut engendrer des brûlures au deuxième degré. 90% du corps doit être couvert.» Vient la mise en place des «spoilers» sur l'arrière des chaussures de skis, histoire d'obtenir une meilleure stabilité. Ceux-là aussi sont de fabrication maison, en sagex.
A les voir dévaler les pentes abruptes, on les imagine à la pointe de la technologie. Pourtant, en jetant un ?il sur leurs chaussures, justement, on ne peut s'empêcher de sourire. Chaussures de ski conventionnelles mais sans boucles (ça prend le vent...), comme il y a près de dix ans. «C'est difficile d'en trouver. Il faut parfois faire les brocantes!» rigole Jean-Marc. Les skis, eux aussi, sont d'une autre époque. «Plus le ski est vieux, mieux il glisse! A condition que la semelle ait toujours été bien entretenue...» Une semelle de course donc, sur un ski vieux de 20 ans. Ou plus...
Les deux Chaux-de-Fonniers du Ski club Marin retournent dans l'aire d'arrivée, où l'ambiance est à la rigolade. Certains évoquent leur soirée arrosée de la veille. «Il y a parfois des gars qui rentrent un peu éméché à 3h du mat' et qui sont devant le lendemain» lance Jean-Marc, tout sourire. Puis, 11h35, l'heure du briefing - et de la minute de silence en mémoire d'une collègue britannique, décédée le week-end dernier sur la piste des Arcs. Il est temps de gagner le sommet.
On rigole déjà beaucoup moins. La pente est vraiment impressionnante (83%!). Une certaine tension s'est installée. «Je suis plus tendu pour Julien que pour moi» confie Jean-Marc, qui ne lâche pas son fiston du regard. La peur? «Si t'en as pas un peu au départ, c'est mauvais signe» lâchent-ils de concert. «Et si tu ne le sens pas, il ne faut pas te forcer. Car une fois lancé, tu ne peux plus rien faire. Mais il est vrai que pour faire ce sport, il faut avoir un c?ur gros comme ça!»
12h40: Julien s'élance. 158 km/h. «Ce n'était pas un bon run. Je n'ai pas assez laissé aller.» 13h17: au tour de Jean-Marc. 166 km/h. «J'ai un peu loupé mon départ...»
Pas grave, il reste un deuxième run. Et de toute façon, ce n'est pas qualificatif ce jour-là. La deuxième manche, partie d'un peu plus haut moins d'une demi-heure plus tard, sera meilleure pour nos deux Neuchâtelois. 163 km/h pour Julien, qui deviendra vice-champion du monde juniors deux jours plus tard, 170 pour son père, 29e avec 182 km/h.
Voilà, la journée est terminée. Les bouts de scotch volent en éclat dans tous les sens. Tout le monde jette un dernier ?il sur la piste domptée, alors que certains prennent déjà le chemin du bar. Tous se retrouveront le lendemain. Sur la même pente, avec les mêmes frissons. / DBU