Sous la Coupole, ça grouille déjà. Les commissions se réunissent, les partis aiguisent leur stratégie et sondent les adversaires pour d’éventuelles alliances. Beaucoup d’idées. Beaucoup de bruit aussi, alors que l’année électorale excite les élus. Beaucoup d’incertitudes enfin sur les résultats des discussions, les clivages politiques n’étant jamais très loin des agitations de façade…

Quand même, une probabilité: l’institution d’une commission d’enquête parlementaire (CEP), l’arme la plus puissante du Parlement. Vu la gravité de la situation, personne ou presque ne s’y oppose.

Professeur à la faculté d’économie de l’Université de Zurich, Marc Chesney soupire: «Le Parlement a attendu 15 ans, depuis la crise d’UBS en 2008, pour finalement se saisir dans l’urgence du dossier. (…) L’émoi est profond et justifié. Les élus doivent maintenant mettre en place des mesures sérieuses contre la finance casino. Il ne faut pas faire semblant et éviter à tout prix que l’éléphant accouche d’une souris».

Comprendre: il faut des décisions fortes pour éviter d’autres drames économico-financiers.

1 Que peut faire le Parlement?

Au plus chaud de la crise, le parlement ne pouvait pas faire grand-chose, le Conseil fédéral manœuvrant en coulisses sous le régime du droit d’urgence. Dès le 11 avril, il retrouvera son pouvoir.

«Nous avons une marge de manœuvre très large, mais à moyen et long terme seulement, définit Samuel Bendahan (PS/VD). La remise en question des choix faits par le Conseil fédéral dans la précipitation ces derniers jours, comme les garanties de 109 milliards débloquées, mais ce serait plutôt symbolique. Nous avons surtout l’opportunité d’exiger que l’exécutif régule comme il se doit la place financière.»

Dans le viseur des parlementaires, les bonus, la taille jugée dangereuse d’UBS nouvelle version, ou encore les compétences de la Finma, l’autorité fédérale de surveillance des marchés financiers particulièrement décriée. La question de la responsabilité des dirigeants de Credit Suisse se posera aussi.

«Il faudra dans tous les cas débattre des banques d’importance systémique. Il y aura probablement des aménagements à faire dans les règlements et la surveillance», prédit le PLR Olivier Feller. A l’instar d’une commission du Conseil des Etats, le Vaudois estime toutefois qu’il ne faut pas se précipiter: «Il sera judicieux d’attendre que toute la lumière soit faite sur l’affaire pour prendre des décisions rationnelles et efficaces».

Samuel Bendahan fronce les sourcils. Attendre, c’est pour lui prendre le risque que la pression retombe et que le Parlement ne fasse pas grand-chose. «Certains espèrent secrètement cela, mais je pense que d’ici le 11 avril, personne n’aura oublié la disparition de Credit Suisse. Et si le parlement ne fait rien, la population sera outrée.»

De son côté, Marc Chesney préconise des mesures simples et claires que tout le monde peut comprendre. Il pense à l’augmentation de la part de fonds propres obligatoires des banques à 20% – comme le demande Le Centre –, à limiter les bonus des dirigeants, à «micro-taxer» les transactions financières pour stabiliser la situation, à limiter les produits financiers complexes – à l’origine de la crise de 2008 – ou à scinder les affaires d’UBS en deux.

Une dernière proposition que bon nombre d’élus soutiennent.

2 Pourquoi une commission d’enquête?

C’est quasiment acquis: le parlement devrait voter l’institution d’une CEP «pour établir les responsabilités». Le bureau du National la propose à l’unanimité. Puissant outil, cette CEP serait une première depuis les années 1990 et seulement la quatrième de l’histoire.

Si le Parlement suit le bureau, il irait à l’encontre de la volonté de la conseillère fédérale Karin Keller-Sutter. «Si elle s’y oppose, c’est qu’il doit y avoir des cadavres dans les placards. C’est son département qui maintient secret tous les documents liés au rachat de Credit Suisse», rappelle Marc Chesney.

Le professeur et la classe politique espèrent ainsi qu’une telle commission permettra de comprendre ce qui s’est passé, si la réglementation a bien été appliquée ou si UBS n’a pas trop dicté sa loi dans les discussions.

«C’est primordial. A l’heure actuelle, c’est UBS qui contrôle l’Etat et pas l’inverse. Le bilan de cette nouvelle méga-banque serait de l’ordre de deux fois le PIB (produit intérieur brut, N.D.L.R.) de la Suisse, et la valeur nominale de ses produits dérivés d’environ 30 à 40 fois ce PIB», tonne l’universitaire.

3 Le Parlement est-il déconnecté?

C’est une petite phrase qui a fait grand bruit, prononcée anonymement par un haut cadre d’UBS dans le «SonntagsBlick»: «Une grande partie de ce qui a été dit est de la propagande électorale de politiciens qui n’ont aucune idée des activités bancaires».

Le tacle passe mal. «Ce qui vient de se passer montre que ce sont certains dirigeants bancaires qui sont déconnectés et non pas les parlementaires», rétorque Olivier Feller, dont le parti est accusé d’être trop proche des milieux bancaires. «Ne pas se rendre compte du caractère abusif de certains salaires variables relève d’une forme d’autisme. Cela ne fait que créer le scandale…»

Pour Samuel Bendahan, «c’est du foutage de gueule». «A gauche, cela fait 15 ans que nous alertons sur ce qui est finalement arrivé. Et c’est nous qui ne comprenons rien?», peste l’économiste de formation et ancien administrateur d’une banque.

«Qu’un haut cadre d’UBS dise cela alors que cette banque a été renflouée par l’Etat et donc le contribuable, c’est osé», sourit Marc Chesney. «C’est précisément le mauvais travail des dirigeants de cette banque, avant 2008, qui avait créé cette situation de crise à l’époque pour UBS.»

Le PS veut une banque cantonale… suisse

S’inspirer du modèle des banques cantonales au niveau du pays: c’est l’idée proposée par Cédric Wermuth, coprésident du PS Suisse.