Il y a deux façons de réduire la taille de la population d’un groupe ethnique. Nombre de régimes autoritaires ont recouru par le passé à l’élimination physique de masse. Le gouvernement chinois a pris le «problème» par l’autre bout: priver les membres des minorités musulmanes et turcophones du Xinjiang de la possibilité de se reproduire.

Cette région autonome située au nord-ouest de la Chine a connu un effondrement inégalé du taux de natalité de 48,74% entre 2017 et 2019, révèle le rapport de l’Institut australien de politique stratégique (Aspi) paru en mai. Une chute concentrée dans les zones comptant principalement des Ouïgours, Kazakhs et autres groupes ethniques persécutés par Pékin, alors qu’une légère hausse était observée dans les comtés peuplés principalement par les Chinois Hans. Du jamais vu au niveau mondial depuis les premières collectes de statistiques par les Nations Unies il y a 71 ans… Même les régimes génocidaires du Rwanda (1994) et du Cambodge (1975-1979) ne font pas le poids à côté.

«La sophistication de la réponse bureaucratique et la nature hautement coercitive de cette campagne pour éliminer les «naissances illégales» sont choquantes», insiste James Leibold, coauteur de cette étude et professeur associé à l’Université australienne de La Trobe. Amendes, sanctions disciplinaires et internement en camp ont sanctionné toute naissance supplémentaire aux deux accordées aux familles des groupes minoritaires par le règlement de 2017 sur la planification familiale.

Dans le comté d’Ulughchat, les autorités offraient par exemple 500 RMB (68 francs) aux dénonciateurs. Et ce, bien que la Convention de 1948 pour la prévention et la répression du crime de génocide, dont la Chine est signataire, interdise aux États d’imposer des mesures destinées à empêcher les naissances au sein de tels groupes (voir ci-dessous).

Cet effondrement confirme les chiffres publiés par d’autres rapports indépendants comme celui sur la violation de la Convention sur le génocide de 1948 par la Chine réalisé par l’Institut Newlines pour la stratégie et la politique. Il souligne que «la chute de la natalité est passée de 15,88 pour mille en 2017 à 10,69 en 2018 dans la région». De même qu’entre 2015 et 2018, le taux de croissance des deux plus grandes préfectures ouïgoures a reculé de 84%.

«Le contrôle des naissances et une stérilisation forcée et discriminatoire sur le plan ethnique ont permis ces baisses sans précédent», résume Rian Thum, chercheur à l’Université de Nottingham, en Grande-Bretagne qui a participé à cette dernière étude. Autant de chiffres rejetés par l’ambassade de Chine en Suisse qui certifie que «le gouvernement chinois n’a jamais ciblé spécifiquement les femmes ouïgoures pour la stérilisation forcée». Les témoignages des victimes de ces méthodes barbares parlent d’eux-mêmes. A l’image de Kalbinur Sidik, une enseignante ayant fui le pays: «Comme je n’avais qu’une seule fille, j’étais un modèle de planning familial», confie cette ex-enseignante qui a fui Urumqi. «Le bureau de district m’a pourtant demandé si je préférais me faire stériliser ou aller en prison. J’ai fini par me rendre à l’hôpital. Il y avait quatre files d’attente d’Ouïgoures, la plupart des jeunes filles.»

Des stérilisations forcées

La campagne de stérilisation forcée coïncide avec le durcissement de la politique de planning familial en 2017. Si le gouvernement a longtemps fait des minorités une exception dans la politique de l’enfant unique – deux enfants en ville et trois en campagne -, le numéro un chinois Xi Jinping a annulé ces avantages au nom de la guerre contre le terrorisme. «Les taux de natalité élevés parmi les femmes du Xinjiang sont considérés par les responsables du Parti communiste chinois comme une source d’instabilité», décortique James Leibold. «Limiter les naissances indigènes consiste à «optimiser» la qualité de la population du Xinjiang.»

Le réseau de camps de concentration créé dès la fin 2016 a facilité la tâche des autorités. Destinés à déradicaliser les «esprits déviants», ces centres aspirent surtout des hommes et femmes en âge de procréer. «L’internement de ces femmes est l’un des mécanismes les plus puissants pour faire respecter les exigences de l’État en matière de contrôle des naissances», insiste Rian Thum.

Trois enfants max

Autre moyen de prévention des naissances: la pose forcée de près de 330 000 stérilets en 2018 contre 200 000 en 2014. Un rapport de l’anthropologue allemand Adrien Zenz affirme que la région représente 80% des poses en 2018 effectuées en Chine. Encouragés par le gouvernement, les mariages forcés entre Ouïgoures et Hans, permettent aussi de diluer la population ethnique.

Ces politiques de contraception et de stérilisation sont-elles encore appliquées, alors que le terrorisme, qui les justifiait, a été vaincu comme le prétendent les autorités du Xinjiang? «Certains signes indiquent que la campagne de lutte contre les naissances illégales au Xinjiang est terminée», estime James Leibold. Encore faudra-t-il que l’annonce la semaine dernière du passage officiel à une politique des trois enfants en Chine inclue les minorités du Xinjiang.

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