"Je n'y vais pas, même si d'autres passent"

"Avec les guides, c'est comme dans toutes les professions, selon l'âge, l'expérience, l'envergure du professionnel, certaines décisions passent ou pas...

Pourtant, il est de la responsabilité du guide d'être capable de changer d'objectif et de parcours pendant une course, et cela n'a rien à voir avec le client.

Notre métier s'est vulgarisé et beaucoup ne sont pas guides à temps plein. Du coup, le jour du rendez-vous avec le client, ils peuvent se sentir pris au piège pour améliorer leurs revenus. Avec un guide à temps complet, il n'est pas possible de se risquer en danger absolu.

A 60 ans, après 36 ans de métier et 42 ans de montagne, je peux dire que je n'y vais pas, même si d'autres passent.

Quand je repense à ce que j'ai vu ce week-end dans la région de Zermatt, quand je vois où certains s'aventurent en ski de randonnée même si le niveau de ski a progressé, je me dis qu'il n'y a pas assez d'accidents de montagne et qu'il existe un bon Dieu pour ces gens.

Ce qui est arrivé à Schumacher se produit 50 fois par saison. Quand il n'y a pas de fond, la semelle du ski reste bloquée sur un caillou et on part la tête en avant.

Avant d'être une question de connaissance, la montagne exige du respect. Avec les années, on peut estimer une situation, mais la connaissance de la neige reste relative. Le manteau neigeux change tous les jours, mais la montagne reste un domaine à risque et un espace de liberté."

= L'AVIS DE

PHILIPPE VILLARD

" La montagne est un espace de liberté et doit le rester ", insiste Serge Beslin, directeur de Villars tourisme. Mais liberté doit impérativement rimer avec responsabilité. S'engager sous la corde noire et jaune qui délimite le domaine skiable sécurisé, c'est s'aventurer en terrain dangereux. Prendre un risque physique et un risque pénal de mise en danger d'autrui en cas de suravalanche par exemple...

Les accidents qui endeuillent régulièrement la saison hivernale posent une série de problèmes aux professionnels du tourisme et de la montagne. Skier coûte cher. Alors, quelles que soient les conditions, ceux qui viennent de loin et ont réservé leur glisse depuis longtemps brûlent du désir de rider un couloir, parfois au prix de leur vie. " S'engager hors des domaines skiables sécurisés sans connaissance des historiques de neige, c'est courir un risque d'accident. En forêt, des souches peuvent affleurer, sur les hauteurs, il peut subsister des plaques à vent ", précise encore Serge Beslin.

Poudre démocratisée

A l'envie de faire des traces, se superpose aussi ce qu'Eric Balet, directeur des remontées mécaniques de Verbier, englobe sous le concept " d'une certaine démocratisation de la poudre ". Elle repose notamment sur la multiplication des skis extra-larges, " qui facilitent l'accès de la poudreuse ou de la neige carton aux skieurs moyens ". Le bon matériel agit ainsi comme un supplément de confiance.

Ce désir d'absolu se prolonge avec le marketing de la neige. Un site comme Verbier s'affiche en pionnier du hors-piste depuis une soixantaine d'années, avec l'ouverture du mont Gelé dès 1959. Mais il ne s'agit pas de n'importe quel hors piste. " Nous offrons des itinéraires à ski sécurisés, mais non damés. S'engager hors piste hors du domaine skiable relève de la responsabilité de chacun ", poursuit le professionnel valaisan. Enfin, l'intérêt à sortir des pistes battues bénéficie du puissant vecteur d'image que constituent free-riders et autres descendeurs de l'extrême, qui forgent une autre mythologie du grand ski. " Mais ce sont des professionnels entraînés qui connaissent leurs limites ", note Eric Balet.

Ne pas y aller à l'aveuglette

Pendant que les stations multiplient les efforts de prévention (lire encadré), les guides de montagne se confrontent-ils à des clients qui, pour éviter la frustration d'une course manquée, les inciteraient à prendre tous les risques?

" Je ne considère pas qu'ils nous mettent la pression en disant "je veux skier ça ou ça". Je les sens plutôt réceptifs car ils ont aussi payé le prix de notre expérience ", confie un guide valaisan qui exerce depuis une bonne quinzaine d'années. Il note même " qu'ils sont de plus en plus nombreux à ne revendiquer aucun risque, si bien qu'on doit parfois les motiver ".

Pour ce professionnel, les échanges réguliers avec les collègues permettent " de ne pas y aller à l'aveuglette ". Et s'il arrive quelque chose, cela relève " de la responsabilité du guide et pas de celle du client ", tranche-t-il.

Il ne faut pas oublier la poisse, la faute à pas de chance, comme dans le cas de Mase, " où on aurait été 99 sur 100 à passer là. ".

La montagne, espace de liberté et de responsabilité, mais aussi de transgression. Le week-end dernier, malgré des risques d'avalanche élevés, près de 5000 skieurs ont franchi les limites d'un secteur pourtant fermé. " Il n'y a pas eu d'incidents car nous avions pris la précaution de purger le site ", se réjouit le responsable des pistes. " On a beau parler, chacun est la pour en profiter et tenter de se faire plaisir ", conclut Serge Beslin, un rien fataliste, mais droit dans le pentu .

LES VICTIMES DE MASE SUIVAIENT UN COURS SUR LES AVALANCHES

Les trois victimes de l'avalanche de Mase (VS) dimanche suivaient un cours sur les avalanches de deux jours au moment du drame, a communiqué hier l'Association suisse des guides de montagne (ASGM). La coulée s'est déclenchée spontanément et a emporté quatre personnes.

Les victimes avaient terminé le cours et étaient sur le retour lorsque l'avalanche est partie vers 14h40, précise le président de l'ASGM Pierre Mathey. Selon les informations en sa possession, les victimes n'ont pas déclenché elles-mêmes la coulée meurtrière.

Quatre personnes, dont un guide, ont été emportées. Trois sont décédées en soirée des suites de leurs blessures. La quatrième était hier dans un état critique.

Les trois autres participants au cours n'ont pas été pris dans la masse de neige. L'opération de sauvetage a nécessité l'engagement de cinq chiens d'avalanches, vingt secouristes, six médecins et six hélicoptères.

Les appels à la prudence se sont multipliés depuis plusieurs jours en raison de conditions particulièrement dangereuses hors des pistes balisées. Comme annoncé par les météorologues et spécialistes de la neige, le risque marqué (degré 3) actuel signifie que des coulées peuvent se déclencher spontanément. ATS

Pour une échelle de risque corrigée

Voulant tirer la leçon des drames survenus ce week-end, Verbier espère diffuser dès les vacances de février, via hôtels, magasins de sports et agences, un prospectus destiné aux skieurs et écoles de ski étrangères. But de l'opération: diffuser des recommandations relatives à la pratique du ski hors du domaine skiable.

L'initiative se veut un complément aux actions engagées depuis des années auprès de la population locale, surtout les scolaires. "Depuis dix ans, nous proposons des cours et des exercices de sauvetage d'avalanche pour nos jeunes, afin de leur expliquer ce qu'il convient de faire et ne pas faire" , se réjouit Eric Balet, directeur des remontées mécaniques de la station. "Quand on a organisé une conférence de presse pour dire que c'était le week-end de tous les dangers, on a fait notre boulot de prévention" , insiste-t-il. "On s'efforce de relayer l'information sur les niveaux d'avalanche via de multiples sites et via les réseaux sociaux" , renchérit Serge Beslin à Villars.

Cependant, les professionnels de la neige souhaiteraient une échelle de risque beaucoup plus large et explicite que les cinq niveaux actuels. Une gradation jusqu'à un niveau 12 semblerait à certains d'une amplitude à la fois plus explicite et plus dissuasive. Mais encore faut-il se donner la peine de s'en inquiéter...

Laisser sa trace au prix de sa vie

Skier à tout prix... Le manque de neige peut amener à réfléchir sur les comportements des professionnels et des usagers de la montagne. Débat.