Les soignants méritent d’être mieux soignés. C’est le message délivré par le peuple suisse en acceptant à une confortable majorité (61% de oui) l’initiative populaire sur les soins infirmiers. Seul Appenzell Rhodes-Intérieures a dit non au texte. En 130 ans d’existence de cet outil démocratique, ce n’est que la 24e initiative populaire acceptée en votation.

Présidente de l’Association suisse des infirmières et infirmiers (ASI), Sophie Ley avait donc toutes les raisons d’afficher un large sourire hier: «C’est historique et je dirais que c’est une belle reconnaissance pour le personnel infirmier, mais aussi pour tout le domaine des soins.

Le rôle de la pandémie

La crise sanitaire a forcément eu un impact sur ce résultat. «La pandémie a montré le grand travail fourni par les soignants poussés jusqu’aux limites», estime Marina Carobbio Guscetti. Mais pour la sénatrice socialiste tessinoise, le problème dépasse ce cadre, il est «structurel».

Le contre-projet indirect élaboré par le parlement se concentrait sur la formation. Il prévoyait une grande offensive à ce niveau en injectant près d’un milliard de francs (938 millions), selon une répartition moitié-moitié entre Confédération et cantons. Il accordait aussi au personnel infirmier la possibilité de facturer directement certaines prestations à l’assurance maladie, sans plus passer par un médecin. «Ce n’est pas suffisant de lancer une offensive sur la formation», souligne Marina Carobbio Guscetti. «Il faut mettre en place d’autres mesures pour que le personnel reste dans la profession.» Plus de 40% du personnel infirmier quitte la profession prématurément. Et même un tiers peu après la fin de la formation, avant l’âge de 25 ans. Cet argument semble avoir fait mouche, puisque le peuple a privilégié l’initiative qui octroie des compétences à la Confédération en matière de salaires et d’horaires.

Alain Berset peu disert

Reste à savoir comment la mettre en œuvre alors que ce sont là des compétences essentiellement dévolues aux cantons et aux hôpitaux. Le ministre de la Santé Alain Berset a reconnu que «les conditions de travail sont parfois difficiles, surtout en ces temps de pandémie, et que cet engagement mérite respect et admiration».

Certaines mesures peuvent être mises en place directement par le Conseil fédéral, d’autre part le parlement.

Alain Berset

Au-delà de cette admiration, le conseiller fédéral s’est montré peu disert sur la mise en œuvre de l’initiative, indiquant que ses services allaient plancher sur la question. «Certaines mesures peuvent être mises en place directement par le Conseil fédéral, d’autre part le parlement», imagine le socialiste.

Dans le camp des perdants lui aussi, Benjamin Roduit concède: «Nous allons non seulement respecter la décision populaire, mais aussi jouer le jeu pour tenter de mettre en œuvre cette initiative.» Elle aussi dans le camp des battues, Isabelle Moret confie: «Voter non à l’initiative pour soutenir le personnel soignant par le contre-projet, c’est un message qui ne passait pas auprès de la population.» Présidente de H+, l’association des hôpitaux suisses, elle imagine en revanche comment appliquer l’initiative: «J’enjoins vraiment à ce que la Confédération, les cantons et les assureurs mettent des moyens à disposition pour maintenir le personnel en place.»

Il faudra chercher des économies ailleurs pour contenir les coûts de la santé.

Isabelle Moret

Pour la libérale-radicale vaudoise, les partenaires tarifaires doivent revoir les forfaits dévolus aux soins infirmiers, quitte à ce que cela conduise à une hausse des primes. «Il faudra chercher des économies ailleurs pour contenir les coûts de la santé», admet Isabelle Moret. Selon elle, la balle est aussi dans le camp des cantons qui pourraient revoir à la hausse la valeur du point tarifaire.

En deux temps

Quoi qu’il soit, ce ne sera pas si simple de trouver des solutions. Le comité d’initiative semble en avoir conscience puisqu’il a proposé hier par voie de communiqué la mise en place d’une procédure «double et parallèle afin de gagner du temps». Son idée, c’est que le parlement adopte rapidement une offensive sur la formation en reprenant ce qui était prévu dans le contre-projet indirect. Et en parallèle, le Conseil fédéral élaborerait des propositions en vue d’une amélioration des salaires et des horaires.

La pénurie dans les professions de soins s’accentue en Suisse

Le nombre de postes à pourvoir dans le secteur de la santé s’élevait à 14’517 à la fin du mois de juin. Nombre d’établissements tentent de combler les trous avec du personnel étranger.