Les Suisses pourraient pousser un fort coup de gueule le 3 mars contre les salaires mirobolants et autres parachutes dorés versés aux top managers. L'initiative contre les rémunérations abusives a le vent en poupe. A défaut, des mesures moins strictes devraient être appliquées.
Père de l'initiative, l'entrepreneur schaffhousois Thomas Minder a jusqu'ici de quoi se réjouir. Les sondages le donnent gagnant. Le récent départ, moyennant des indemnités au montant encore secret, du patron de Novartis Daniel Vasella, apporte de l'eau à son moulin.
Le conseiller aux Etats a en outre réussi à marquer des points au sein des partis bourgeois. Si ces formations, à part le PEV et l'UDC, se battent officiellement pour un "non" à l'initiative, de nombreuses voix discordantes se font entendre. C'est surtout le cas à l'UDC, mais aussi au PDC.
Des divisions sont aussi apparues chez les syndicats. Préférant miser sur les initiatives limitant les revenus des patrons (1:12) et assurant un salaire minimum aux employés, ils balancent entre le oui, le non et le blanc. Mais la gauche "politique" a resserré les rangs: PS et Verts soutiennent quasiment comme un seul homme l'initiative, y voyant un premier pas pour asseoir leurs autres revendications.
Accouchement douloureux
Cette configuration n'est pas sans rappeler celle qui a prévalu au Parlement, qui a ferraillé pendant des années. Toutes les options (contre-projets directs et indirects, avec ou sans imposition des bonus) ont été explorées, rendant l'enjeu de plus en plus opaque.
Tous les partis ont rivalisé de stratégie. Qu'il s'agisse de réduire au maximum la portée des mesures à prendre ou de permettre une votation populaire rapide afin de s'en servir de tremplin pour les élections fédérales de 2011. Christoph Blocher, désormais chantre du non le 3 mars, a même marché un temps main dans la main avec Thomas Minder.
Au final, l'imposition des bonus n'a pas survécu aux débats. Le Parlement a accouché d'une révision du code des obligations qui s'inscrit dans la ligne de l'initiative, tout en prévoyant de nombreuses exceptions.
Ces aléas ont aussi conduit à ce qu'aucune recommandation de vote ne soit adoptée par les Chambres, ce qui empêche le Conseil fédéral d'en défendre une. Le gouvernement n'en rappelle pas moins qu'il a toujours été opposé à l'initiative et favorable au contre-projet. Assez pour faire bondir Thomas Minder qui a fait recours.
Préférer l'original
Dans de telles circonstances, le peuple pourrait, comme il l'a fait à plusieurs reprises, préférer l'original à la copie et soutenir l'initiative. D'autant plus que, selon les initiants, le contre-projet ne reprendrait que 40% des exigences du texte du patron de Trybol.
D'autres arguments sont mis en avant par les partisans de l'initiative. Les abus à répétition des grands patrons appellent une réponse claire et nette. Un "oui" le 3 mars servirait de garantie: inscrire des mesures dans la constitution aurait plus de poids qu'une simple révision de loi facilement amendée après quelques années.
L'initiative enjoint d'ailleurs le Conseil fédéral a édicter d'ici le 3 mars 2014 les dispositions d'exécution nécessaires. Le contre-projet pècherait en outre par les exceptions prévues, autant d'échappatoires pour les managers. Pire, se basant sur le droit pénal actuel, il ne prévoit pas un régime de sanctions assez dur.
A coup de millions
La bataille n'est toutefois pas finie. Le camp du non se bat à coup de millions contre l'initiative et pour le contre-projet. Même si elle a commis quelques impairs (commentaires achetés sur Internet, sites téléguidés), la faîtière economiesuisse ne manque pas de ressources.
Les opposants au texte de Thomas Minder reconnaissent la nécessité de lutter contre les abus. Mais l'initiative serait trop stricte et ferait fuir les entreprises cotées en bourse, autant d'emplois perdus pour la Suisse.
Autre défaut, elle ne ferait que renforcer le pouvoir des actionnaires. Or leurs intérêts, souvent motivés par les dividendes reçus, ne vont pas forcément dans le sens de l'entreprise, des travailleurs et des consommateurs.
Plus rapide
Les projets de longue haleine pourraient pâtir de l'élection chaque année des organes dirigeants. Dans certains cas, un parachute doré peut être une meilleure solution qu'une procédure judiciaire.
"Mieux formulé", le contre-projet aurait en outre l'avantage de pouvoir être appliqué rapidement. Une fois l'initiative rejetée, le Conseil fédéral ne devrait attendre que le délai référendaire de 100 jours avant de le mettre en vigueur.