A l’hôtel du Soleil, on sait quand on arrive mais pas quand on repart. Sur la terrasse du restaurant de Cornaux, les habitants du village débarquent au compte-goutte pour l’apéro.

Vers 11h, ce jeudi 4 août, il règne une ambiance bon enfant. «Je suis heureux quand j’ai un verre de blanc. Mais aussi quand je n’en ai pas», glisse Ulysse, tout juste 100 ans, avec un sourire malicieux. Lui vient de Neuchâtel, les trois autres habitués avec qui il se trouve vivent à Cornaux et Cressier.

On papote, on rigole et on picole (un peu)

Ils aiment venir dire bonjour à Habib Elamri, le patron. Avant, il tenait le café du Tilleul, à Cressier, avec sa concubine. «Je vais partout où Habib va», sourit Michel. Âgé de 71 ans, il habite Cressier depuis 54 ans. «Je viens au Soleil presque tous les jours.»

Il n’est pas le seul. «Tu peux venir ici chaque jour, tu trouveras toujours quelqu’un que tu connais», sourit Vincent, 55 ans, accoudé au bar extérieur avec une équipe.

«Hé, v’là le Franz! Le plus grand buveur de blanc de l’Entre-deux-Lacs!» Et ça rigole. Le fameux Franz a 65 ans. Il vit dans la même ferme à Cornaux depuis… 65 ans: «Je suis le dernier paysan du centre du village, la quatrième génération. J’ai des vignes et des poules», explique-t-il. «J’aime venir boire un verre ici car Habib est très gentil. Voire trop généreux. Je suis parfois gêné!»

Habib Elamri sert une de ses fidèles clientes, Mimi. Photo: Lucas Vuitel

Une générosité qui semble se transmettre. A chacun sa tournée. Il est bientôt 16 heures et certains n’ont toujours pas bougé (on ne dira pas les noms). Habib, qui a couru toute la journée entre la cuisine et le service, a toujours pris le temps de saluer tout le monde.

En fin d’après-midi, il est enfin plus tranquille. Quand il nous dit qu’il ouvre sept jours sur sept et qu’il s’est privé de vacances pendant sept ans, on lui demande s’il est fou: «Oui, je suis Arabe», glisse-t-il en éclatant de rire. Plus sérieusement: «C’est épuisant. Mais j’honore mon engagement.»

Maison de commune et café en même temps

Le Tunisien a repris l’hôtel du Soleil en 2012. «Ça a toujours été un restaurant ici.» Plus précisément, le bâtiment a été construit en 1770 pour faire office de maison de commune. En 1775, les autorités ont décidé de tenir un café. L’autorisation a été octroyée par le Conseil d’Etat, au nom du roi de Prusse. Pareil pour pouvoir utiliser le blason de Cornaux, un soleil.

En 1933, le bâtiment est mis en vente et cédé à un particulier pour la somme de… 40 000 francs. Il appartient à la famille Schlaepfer depuis 1978. «La clientèle de mes parents, c’était les chauffeurs qui allaient faire le plein à la raffinerie», raconte Daniel Schlaepfer.

Le bâtiment a été construit en 1770. Photo: Lucas Vuitel

Le grand parking juste devant le restaurant est un atout relevé à maintes reprises par les clients. Les ouvriers des entreprises environnantes viennent toujours à midi. Habib assure dresser 25 à 30 couverts par jour en moyenne. Ce midi-là, c’est plus calme, en raison des vacances.

Daniel Schlaepfer vient de reconduire le bail du gérant pour dix ans: «Il n’y a plus beaucoup de bistrots de quartier de ce genre…» Gérard, client quotidien de 69 ans, confirme: «Ils disparaissent. C’est chouette de pouvoir retrouver les copains et de refaire le monde. On vient aussi manger quand madame n’a pas envie de cuisiner.»

Ici, je passe toujours un bon moment.

Mimi, fidèle cliente

Habib sourit: «Il y a des clients qu’on sert sans même avoir besoin de leur demander ce qu’ils veulent.» Comment gérer ceux qui boivent trop? «Il faut leur faire comprendre qu’ils doivent arrêter, sans s’énerver.»

Il est bientôt 17 heures. De nouveaux clients arrivent pour tailler le bout de gras. Nous, on repart avec une boîte de six œufs offerte par le Franz et un saucisson tessinois rapporté par Mimi, 81 ans: «Ici, je passe toujours un bon moment. Ça m’a fait plaisir de te connaître, ma chérie.» C’est réciproque, on confirme.

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