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Si le groupe Rolex poursuit son activité au Locle, la marque va s’effacer au profit d’autres structures. Tudor (une marque sœur) et le fabricant de mouvements Kenissi investiront une nouvelle usine fin 2021.

Pour les Montagnons, forcément, c’est un événement, tant le bâtiment Rolex, orné de son emblématique couronne, fait partie du paysage.

«Le promeneur ou l’automobiliste, qui se rend du Locle au Col, voit apparaître sur sa gauche un nouvel édifice aux lignes élégantes et au style aéré, bien dans la note caractérisant les constructions industrielles modernes. Il s’agit de la nouvelle fabrique Rolex, présentée hier officiellement aux visiteurs par les deux maisons fondatrices de Genève et de Bienne.»

Voici comment «L’Impartial» du 2 octobre 1970 saluait l’inauguration de l’usine Rolex du Col-des-Roches. Alors qu’elle produisait jusque-là ses composants au sein de trois ateliers disséminés dans la ville, Rolex avait souhaité construire un écrin plus en phase avec son prestige.

L’article de «L’Impartial», le 2 octobre 1970

Alain Comte, un ancien de la maison, se souvient de cette journée. «Nous avons fait une sacrée fête dans l’usine. Je crois que je n’ai jamais mangé autant de caviar. L’hôtel des Trois-Rois avait tout concocté. Rolex faisait toujours très fort dans ces cas-là.»

Un architecte bien connu

Le bâtiment est l’œuvre de l’architecte Paul Davoine (1913-1982). Après ses études, ce Loclois s’est installé à Genève. Il a aussi réalisé la fabrique Zodiac dans sa ville d’origine, ainsi que les deux bâtiments de la rue des Crêtets et les trois tours de la rue du Locle pour Universo, à La Chaux-de-Fonds.

La construction ne se fera pas sans problème: elle a même failli tourner au drame. Le 3 octobre 1968, une dalle s’effondre et entraîne 12 ouvriers avec elle. Fort heureusement, l’accident ne provoque aucun décès. Il ne retarde pas davantage la fin du chantier.

La qualité, c’est au Locle

Mais pourquoi Rolex s’installe-t-elle au Locle? Les responsables évoquent alors la qualité de la main-d’œuvre et l’héritage de grands horlogers.

«La région étant traditionnellement depuis Daniel Jeanrichard terre d’accueil pour l’horlogerie, il est compréhensible qu’une marque d’horlogerie suisse, de réputation internationale, ait cherché à y implanter une partie de sa production de haute qualité», répond en octobre 1970 André Heiniger, le directeur général de Rolex Genève.

Formé à l’Ecole d’horlogerie de Morteau, Alain Comte travaille d’abord six ans pour Zenith. Il entre chez Rolex au printemps 1969, avant que l’entreprise ne s’installe dans ses nouveaux locaux: «Nous avons commencé dans un atelier au Chemin-Blanc pour Rolex Bienne.»

Nous étions dans un simple appartement, qui comprenait une cuisine et une grande salle à manger.

Alain Comte, ancien horloger chez Rolex au Locle

«Harry Borer (réd: le directeur général de Rolex Bienne, décédé en 2017) voulait absolument que Rolex s’installe au Locle. Avant de construire la nouvelle usine, il a trouvé de petits ateliers. En fait, nous étions dans un simple appartement, qui comprenait une cuisine et une grande salle à manger. Nous travaillions dans celle-ci. Ma place était devant la porte des toilettes. Quand les gens y allaient, je devais me lever.»

«Oui. J’avais du plaisir à travailler, j’avais le temps», dit Alain Comte, ancien horloger chez Rolex au Locle. Photo: Christian Galley

Le confort s’améliore lorsque les employés peuvent emménager dans la nouvelle usine. «Nous étions une quinzaine dans tout le bâtiment. Nous, les employés de Rolex Bienne, nous nous sommes installés au deuxième étage. Ceux de Rolex Genève, au premier», se souvient Alain Comte.

Séparation étanche entre Bienne et Genève

La grande particularité de l’usine locloise est qu’elle réunit des collaborateurs de deux sociétés avec des propriétaires distincts. Les employés du site neuchâtelois n’ont donc pas tous le même patron! Ce sera le cas jusqu’en 2004, date à laquelle Rolex Genève rachète Rolex Bienne.

Chez Rolex, Bienne c’est le cœur, Genève l’habillement. Depuis 1905, la société seelandaise fournit des mouvements en exclusivité à ses collègues de Genève. Celle-ci les complète et les emboîte. Elle commercialise ensuite les montres à travers le monde.

Au Locle, la séparation entre les deux sociétés est étanche. «Nous fabriquions les mouvements. Ceux-ci partaient à Bienne pour le contrôle. Ils étaient ensuite vendus à Genève. Assez cher», raconte Alain Comte.

Moins secoués pendant la crise

Lors de la crise des années 1970 et à l’arrivée du quartz, la secousse n’est pas aussi rude pour les employés de Rolex que pour le reste de la branche.

«Nous avons été au chômage partiel une année. Financièrement, nous n’avons rien perdu. L’entreprise a compensé», se souvient Alain Comte. Rolex occupe aussi ses collaborateurs pendant cette période de disette. «Nous avons repris tous les mouvements mécaniques et les avons refaits à neuf.»

«Me remettre dans le bain»

Régleuse, formée au Tech de Saint-Imier, Liliane Vuilleumier est arrivée au Locle en 1989. Elle a répondu à une offre d’emploi. «J’ai dû aller faire une formation à Bienne pour me remettre dans le bain. Je n’avais plus pratiqué depuis 11 ans.»

Chez Rolex, évidemment, on soigne la qualité du produit. «Quand tu abîmais une pièce, tu la refaisais. Toutes les pièces passaient au contrôle technique, plus d’un million de montres par an. Ils étaient exigeants», se rappelle Alain Comte.

«En sortant d’apprentissage, j’étais chez Blancpain, à Villeret. Quand on fichait en l’air un mouvement, on nous le retenait sur la paie», raconte Liliane Vuilleumier. Mais pas chez Rolex. «Je n’avais jamais utilisé de tournevis électrique. Mais quand je rayais une vis, je devais la changer», note-t-elle tout de même. Le diable se cache dans les détails.

Une fierté?

Était-ce une fierté de travailler pour Rolex? «Oui. J’avais du plaisir à travailler, j’avais le temps. Je m’occupais du mouvement jusqu’à la pose du balancier. Petit à petit, les machines automatisées ont fait leur apparition», répond Alain Comte.

Les deux retraités évoquent aussi leur patron, Harry Borer. «Il était humain. Il venait chaque année pour nous tenir au courant de la marche des affaires. C’était plus humain que maintenant», confie Liliane Vuilleumier.

L’entreprise est d’ailleurs célèbre pour ses avantages sociaux. Des primes sont distribuées tous les cinq ans. Dans les années 1970, c’était un vreneli (une pièce en or) par année d’ancienneté. «Un couple de concierges à Bienne, que j’ai connu, a reçu 50 vrenelis chacun», dit Alain Comte. L’équivalent de 18 000 francs à l’époque.

Bien qu’à la retraite, les deux anciens voient toujours une partie de leurs primes d’assurance maladie payée par Rolex. Et ils ont droit à un repas chaque année. «La première fois, c’était en bateau sur les Trois-Lacs. Avec une harpiste», se souvient Liliane Vuilleumier.

Et acquérir une Rolex?

La question qui intrigue tout le monde: peut-on acquérir une Rolex bon marché lorsqu’on est employé par la marque?

«A 50% de son prix public, mais je n’ai pas le droit de la vendre. J’ai quitté une année trop tôt. Ils ont changé de système. Avec mes 31 ans de fidélité, j’aurais pu recevoir une montre à 30 000 francs. Ce système existe toujours», relève Alain Comte.

Je l’ai reçue quand je suis partie à la retraite. Elle valait 12 000 francs.

Liliane Vuilleumier, ancienne régleuse chez Rolex au Locle

Liliane Vuilleumier en a bénéficié «Je l’ai reçue quand je suis partie à la retraite. Elle valait 12 000 francs. J’ai pris un modèle classique bicolore avec un cadran en nacre. Je pouvais aller jusqu’à 15 000 francs par rapport au nombre d’années d’ancienneté.»

Départ à la fin de l’année

Alain Comte est parti à la retraite en 2000, Liliane Vuilleumier en 2006. Au Locle, la vie chez Rolex a continué. Mais, d’ici fin 2021, la marque s’en ira pour laisser la place à d’autres structures du groupe.

Quelle est la logique industrielle? Mystère: la société ne commente jamais ses décisions. D’ailleurs, nous ne savons pas ce qu’il adviendra de l’ancien bâtiment.

Aucun emploi ne semble perdu, bien au contraire: la Fondation Wilsdorf, propriétaire de la marque, installe une nouvelle manufacture à côté du bâtiment de l’architecte Paul Davoine, un peu plus d’un demi-siècle après son inauguration.

Fidèle au Locle

Un nouveau bâtiment abritera la marque Tudor et le fabricant de mouvements Kenissi. Photo: Muriel Antille

La nouvelle usine abritera la marque Tudor, marque sœur de Rolex, et le fabricant de mouvements Kenissi, fournisseur de Rolex et aussi des montres Chanel.

En savoir plus: Tudor, petite sœur low cost de Rolex, est vraiment émancipée

Les actuels employés de Rolex au Locle devraient être transférés soit à Bienne, soit chez Tudor ou Kenissi. Le nouveau bâtiment devrait être terminé d’ici la fin de l’année 2021 et offrir, à son ouverture, 200 places de travail: la moitié pour Tudor et l’autre moitié pour Kenissi.

À plus long terme, le site pourrait accueillir 400 personnes.

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