Immortaliser le Plateau suisse. A première vue l'idée semble s'inscrire dans la ligne du romantisme anglais. Mais le photographe de Saint-Aubin Yves André, spécialiste de l'architecture, ne recherche pas la prise de vue typique. Même s'il ne renie pas l'esthétique des calendriers touristiques, pour mieux la détourner. Certaines images pourraient paraître bucoliques, mais s'y cachent toujours une grue ou une grille.
Son projet «paysages occupés» a été lauréat de la sixième Enquête photographique fribourgeoise. Dans les visions habituelles, le château de Gruyère occuperait la place centrale du cliché, chez André on le retrouve en fond d'image, dissimulé dans le paysage comme un clin d'il, presque un gag. Au premier plan du béton, puis imposants et insolites des conteneurs zébrés rappelant le drapeau du canton. Humour absurde d'un défricheur de paysages à la fantaisie intacte, malgré certaines obsessions.
Au premier abord, les vues semblent aussi rugueuses que rigoureuses et mettent l'accent sur la prise de possession de l'espace à tout prix par des bâtiments souvent disproportionnés. «Ces paysages sont «occupés», mais par nulle armée étrangère, seulement par des hommes de bonne volonté. Qui songerait à les chasser?», questionne Jacques Lévy, professeur à l'EPFL dans son catalogue.
Ce regard singulier nous remet en face d'une enseigne criarde de supermarché qui devient la porte d'entrée d'une ville, ou montre l'étrangeté d'un parking en béton au milieu de nulle part. On comprend aussi la fascination de l'artiste pour l'art minimal américain. On pense à Donald Judd ou Soll Lewitt. La répétition géométrique d'un même motif est si incongrue qu'on la croit provoquée par un plasticien.
La majorité des prises de vue ont été captées aux mêmes heures. Ces ciels lourds, vifs, offrent le contrepoint à l'omniprésence d'une étendue vierge sauvage ou labourée au premier plan. /ACA
Fribourg, Bibliothèque cantonale et universitaire, jusqu'au 10 novembre 2008. «Paysages occupés» de Yves André, éd. Infolio 2008