christian Levrat, l’ancien syndicaliste, l’ancien politicien, l’ancien chef du Parti socialiste, est président de La Poste depuis maintenant une centaine de jours. À l’occasion du bilan annuel du géant jaune, il décrit la stratégie de l’entreprise. Interview.

Beaucoup disent que vous avez raté votre sortie politique. Et votre entrée à La Poste?

Christian Levrat: D’abord, j’ai très bien réussi ma sortie politique. Ensuite, je suis très heureux à La Poste et c’est un privilège de travailler pour une entreprise de service public déterminante pour notre pays.

Le directeur de La Poste explique que les offres doivent désormais coller aux demandes réelles de l’économie. Est-ce donc la main invisible du marché qui dicte les orientations?

Non. Ce qu’a dit Roberto Cirillo, c’est que les besoins de la population et de l’économie évoluent. Les offres de La Poste doivent suivre cette évolution dans un monde où le numérique joue un rôle toujours plus important. Prenez l’e-commerce: c’est du digital et du physique avec la livraison des colis.

Dans le discours de La Poste, on entend les mots «bénéfices» et «besoins de l’économie»… Cela donne l’impression que les grands idéaux du camarade Levrat sont sacrifiés sur l’autel de la rentabilité…

Non non. Le service public et les infrastructures mises au service de la population, ce sont des conditions-cadres primordiales pour tout un chacun. Ce n’est pas de gauche ou de droite.

En 2003, vous disiez être déçu que le Conseil fédéral refuse de subventionner le service public. Aujourd’hui, c’est La Poste qui ne veut pas de soutien public. On ne comprend plus rien…

Aujourd’hui, nous ne sommes plus dans la même situation. La Poste doit faire preuve d’une certaine agilité. Nous ne vivons plus aujourd’hui comme on vivait il y a 30 ans et c’est à ce nouveau monde qu’il faut apporter des réponses.

Un exemple?

Klara, une petite entreprise que nous avons fondée avec d’autres avant de l’acheter entièrement. C’est une plateforme digitale qui gère tout le trafic postal digital et les paiements dans une PME. Ce produit, ce sont des investissements faits par La Poste pour simplifier la vie des PME en garantissant dans le domaine digital ce que nous garantissons déjà dans le domaine physique, soit le transfert d’information d’un point A à un point B.

Un rapport d’experts propose l’abandon du courrier A et la distribution du courrier trois fois par semaine dès 2030. Faut-il avoir peur?

Non car le rapport d’experts définit ce qui relève du service universel. Et ce sera au Parlement de décider de son cadre et qui nous contraint a minima. Mais rien n’empêche La Poste d’en faire davantage. Nous l’avons dit: nous continuerons à distribuer le courrier A tous les jours ouvrables. Ce qui est certain et qui est présent dans ce rapport, c’est le passage au service universel digital en complément de nos prestations.

Justement, on peine à comprendre concrètement ce qu’est ce service universel digital…

L’exemple typique, c’est Klara.

Mais c’est pour les PME, pas pour les citoyens.

D’accord, mais nous avons 500 000 PME concernées par ce service. A l’heure actuelle, il y a 36 000 entreprises clientes et nous en gagnons 1000 par mois…

Excusez-moi mais à quoi bon ce service universel digital pour les simples citoyens?

Elle simplifie leur vie. Tout comme les progrès dans l’administration digitale, au vote électronique qui viendra bien un jour, ou encore à la gestion de données médicales par l’intermédiaire du dossier électronique du patient. En gros, l’idée est de garantir sur le plan électronique ce que nous faisons déjà sur le plan physique.

Enfant, est-ce que vous jouiez à la mini-Poste?

Probablement, comme tous les enfants de Suisse.

Nous avons décidé de stabiliser le nombre d’offices autour de 800.

Christian Levrat, président de La Poste

C’était une belle époque où La Poste était un emblème du pays. Mais aujourd’hui, elle n’a plus une bonne image auprès de la population. Qu’est-ce qui s’est passé?

La Poste a toujours un très fort capital de confiance dans la population. Toutes les analyses le montrent. C’est précisément parce que chacun à l’impression d’être propriétaire de cette entreprise que la discussion publique autour de La Poste et de son avenir est toujours aussi vive. Il faut s’en réjouir et la population est consciente qu’elle doit évoluer avec son temps.

En fermant des bureaux de poste?

Non, nous avons décidé de stabiliser le nombre d’offices autour de 800, parce qu’ils répondent à un besoin de proximité.

Ceux qui ont manifesté pour lutter contre la fermeture de leur bureau de Poste, c’est une minorité bruyante?

Non non. Ce sont des acteurs qu’il faut prendre au sérieux. Je les vois comme des amis de La Poste. Ce sont des gens pour qui le contact physique est important. Je ne crois pas qu’il faille opposer proximité et développement digital. C’est la raison pour laquelle nous voulons faire de nos offices de poste des centres de prestations régionaux en collaboration avec des assurances, des banques ou des communes.

Si vous restez figé sur les prestations historiques et que vous n’investissez pas le champ numérique, vous serez dans une stratégie de recul.

Christian Levrat, président de La Poste

Donc en 2030, on pourra aller à La Poste pour récupérer un courrier recommandé, mais aussi conclure une assurance et ouvrir un compte en banque?

Les discussions sont en cours. Le Conseil fédéral nous a demandé de traiter toutes les entreprises de chaque branche de manière identique. Nous devrions avoir les premières collaborations cette année. Par exemple dans le Jura, à La Poste, est offert un appui à la population qui peine avec l’administration numérique.

Pouvez-vous garantir que tout cela va se faire sans perte d’emplois?

Dans le monde actuel, vous ne pouvez rien garantir. Cela dit, les faits parlent pour nous, puisque pour la première fois depuis des années, nous avons créé des emplois. Mais si vous restez figé sur les prestations historiques et que vous n’investissez pas le champ numérique, vous serez dans une stratégie de recul.

C’est le président de La Poste qui le dit et non pas l’ancien du Syndicat de la communication…

Ce sont les deux. Je suis persuadé que c’est une stratégie positive qui permet d’évoluer et de garantir l’emploi.

Postfinance veut acquérir une licence bancaire, pour faire comme les autres. A-t-on vraiment besoin d’une nouvelle banque en Suisse?

Houla! Il ne s’agit pas de faire comme les autres. Aujourd’hui Postfinance n’a pas le droit d’octroyer des crédits et des prêts hypothécaires alors qu’il y a eu depuis une quinzaine d’années un afflux massif de clients, qui nous ont confié 110 milliards de francs et qui nous font confiance. Donc Postfinance est contraint de travailler avec une partie de son bilan seulement.

C’est une situation qui est difficile et je plaide pour la levée de cette interdiction de crédit. Quand on dit qu’il ne serait pas possible de créer une banque supplémentaire car la Poste appartient à l’Etat, on fait semblant d’oublier que toutes les banques cantonales bénéficient d’une garantie étatique. A la fin, la vraie question, c’est qu’est-ce qu’on peut faire d’intelligent avec ces fonds.

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