Lundi 9 mai, la Russie de Vladimir Poutine verra ses dernières technologies militaires défiler pour célébrer la victoire des Soviétiques sur l’Allemagne nazie. Au même moment, le Parlement suisse se prononcera sur le budget de la défense. Alors que l’Europe se réarme pour réagir à l’invasion de l’Ukraine, une proposition de la droite espère progressivement consacrer 1% du Produit intérieur brut (PIB) aux dépenses militaires, contre 0,8% aujourd’hui.

Tout indique que cette motion sera acceptée par le National grâce aux trois partis bourgeois. L’armée bénéficierait alors de sept milliards de francs chaque année dès 2030, contre cinq aujourd’hui. Pour l’UDC valaisan Jean-Luc Addor, qui porte la motion, «après des décennies d’illusions, la guerre en Ukraine nous a fait redescendre sur terre. Face aux intérêts divergents des Etats, il n’y a pas que le droit international. Il y a aussi les rapports de force».

Réarmement accéléré

Jeudi, Viola Amherd s’est dit convaincue «qu’il vaut la peine d’investir dans la sécurité de la population». Ces derniers mois, la ministre centriste a obtenu les financements de son projet de défense antiaérienne, même si l’acquisition des avions F-35 américains reste menacée par une initiative de la gauche. Récemment, elle a finalisé un projet de cyberdéfense qui coûtera entre 1,6 et 2,4 milliards.

Désormais, elle soutient l’augmentation du budget de la défense. Face au Conseil des Etats, elle a plaidé pour que celle-ci s’opère de façon progressive. Pour le président du Centre, Gerhard Pfister, «nous demandons que les augmentations soient basées sur des besoins et qu’elles se fassent par étapes. Quand la volonté politique est là, nous pouvons régler le problème sans toucher aux autres départements».

Deux milliards de plus ne représentent pas un changement de paradigme stratégique.

Philippe Rebord, Chef de l’armée jusqu’en 2019

Chef de l’armée jusqu’en 2019, le commandant de corps Philippe Rebord salue la proposition des partis bourgeois comme «une saine réaction à la guerre en Ukraine». Selon lui, «deux milliards de plus ne représentent pas un changement de paradigme stratégique, mais une légère accélération du processus de rééquipement».

Le Valaisan rappelle que «les budgets de l’armée sous soumis chaque année au vote du Parlement». Selon lui, «au moment où tous les pays de l’Otan se réarment après avoir mené une politique de désindustrialisation militaire, ce sont les Américains qui emporteront la plus grande partie des marchés». Interrogé par «Le Matin Dimanche», son successeur Thomas Süssli tient le même discours: «Avec plus d’argent, nous pourrions atteindre nos buts beaucoup plus rapidement».

Selon un rapport qui vient d’être publié, plusieurs projets prévus pour les dix prochaines années ont pris du retard. C’est le cas de ceux qui doivent aboutir à la mise à jour du système de surveillance de l’espace aérien, ou de ceux qui doivent uniformiser et sécuriser les télécommunications, parce que les compétences informatiques du département «sont insuffisantes». C’est aussi le cas des drones commandés à Israël. Si les premiers exemplaires sont arrivés en Suisse, le département «s’attend à un retard pouvant atteindre jusqu’à trois ans». Pour cette raison, il a exigé des pénalités et des contre-prestations.

15 milliards d’investissements

Au total, la planification de l’armée pour 2035 prévoit 15 milliards d’investissements, dont 6 pour les avions, et 2 pour la défense antiaérienne de longue portée. Les 7 autres milliards seront consacrés aux forces terrestres. Manifestement ils ne suffiront pas.

Acquis dans les années 1970, les obusiers blindés qui constituent l’artillerie suisse sont obsolètes. L’infanterie ne peut pas équiper la moitié de ses 17 bataillons d’un millier d’hommes. Il y a un mois, dans la «Sonntagszeitung», Albert Stahel, professeur de stratégie militaire de l’Université de Zurich, disait: «Notre armée est archaïque.»

Des chars et des canons

L’argent du Parlement devrait bénéficier aux forces terrestres. Il y a quelques jours, le «Tages-Anzeiger» a obtenu des documents qui montrent que l’armée compte non seulement investir dans l’artillerie et l’infanterie, mais aussi dans les chars et les mortiers. Pour les premiers, il s’agit de moderniser une centaine de modèles Léopard II, conçus en Allemagne vers la fin des années 1970. Ils rejoindraient les 136 exemplaires déjà modifiés en 2006.

Pour les seconds, l’armée compte acquérir 32 pièces de mortiers «Cobra», des engins développés par la société suisse Ruag, et dont l’introduction a longtemps été retardée par des défauts de qualité. Ils coûteront 404 millions de francs et seront opérationnels en 2024.

Colère de la gauche

L’offensive politique sur le budget de la défense a été lancée par l’UDC dès les premières frappes russes sur l’Ukraine. Grâce à la coordination d’Alliance Sécurité Suisse, fondée l’an dernier, elle a rapidement obtenu le soutien du PLR. Son président, Thierry Burkart, est aussi celui de ce lobby qui réunit plusieurs politiciens de droite influents. Pour lui, «notre armée n’a plus la capacité de remplir son mandat constitutionnel et la situation actuelle nous montre qu’une guerre conventionnelle est toujours possible ici, en Suisse».

La guerre en Ukraine a été utilisée comme une bonne excuse pour augmenter le budget de l’armée.

Pauline Schneider, co-secrétaire du GSsA

Co-secrétaire du Groupement pour une Suisse sans armée (GSsA), et «déçue par la réaction de la droite», Pauline Schneider juge que «la guerre en Ukraine a été utilisée comme une bonne excuse pour augmenter le budget de l’armée, alors qu’elle devrait plutôt nous inciter à sortir de la spirale de l’armement». Pour la socialiste, «c’est une erreur et il y a de nombreux autres secteurs dans lesquels cet argent devrait être investi».

Minorisé dans la commission de sécurité, le vert Fabien Fivaz (NE) semble fâché: «La droite voudrait à la fois investir dans les secteurs prioritaires de la cyberdéfense et de la défense aérienne, et conserver l’armée folklorique de grand-papa qui flatte son amour des traditions.» Pour le conseiller national, «personne ne sait ce que l’armée va faire de ces 2 milliards, ni si des gens qui ont déjà commis beaucoup d’erreurs seront capables de gérer cet argent».

En rappelant que l’UDC a longtemps piloté ce département, il insiste: «La droite ne nous a toujours pas dit où nous allons trouver deux milliards dans le budget de la Confédération.»

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