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C'est par un petit moment de silence que le procureur général, Eric Cottier, a entamé jeudi son réquisitoire, en mémoire à Catherine Ségalat, morte dans des conditions horribles, mais aussi en mémoire de René-Jean Ségalat, son époux, décédé à peine plus de trois mois plus tard.
Tout d'abord, le représentant du Ministère public a tenu à souligner la qualité du travail effectué par la justice, tant au niveau de l'enquête de police qu'au niveau des nombreuses procédures menées en cours d'enquête, " enquête menée autant à charge qu'à décharge" , a-t-il tenu à souligner. Il a ensuite procédé à une longue énumération des faits.
Pour le Parquet, il est très vite apparu des indices suffisants pour considérer l'accusé coupable. Certes, il reste des doutes sur certains points, mais si le doute doit toujours profiter à l'accusé, il s'agit tout de même de considérer les faits dans leur ensemble. Et les faits sont accablants...
La justice doit être à l'abri des émotions
" L'accusé est une personnalité remarquable ", a admis Eric Cottier. " C'est un homme de partage pour qui les valeurs fondamentales sont la famille, le travail. Il aime l'humain, se met au service des gens et des causes, il veut faire le bien autour de lui. Il est donc très difficile de voir en lui le meurtrier potentiel de celle qu'il considérait comme sa mère. Tout le monde, sa famille en premier lieu, aimerait que ce meurtre soit le fait d'un tiers, d'un inconnu. Mais la justice doit être à l'abri de telles émotions. Tout le monde peut, un jour, commettre un acte en opposition complète avec sa personnalité. Du reste, l'immense majorité des criminels est à chercher chez Monsieur-tout-le-monde!".
Pour l'accusation, Laurent Ségalat est un dissimulateur. Et de citer, par exemple, sa double vie de l'année 2008-2009, année sabbatique qui aurait dû être consacrée à des travaux de recherches au Canada et qui, de fait, a été plus vouée à l'écriture de son livre et au règlement des problèmes liés à la librairie de son père, qu'à des recherches avec son collègue canadien.
Pour le procureur, l'un des mobiles possibles pourrait être l'argent. En effet, Laurent Ségalat a admis qu'il se demandait si la librairie pouvait faire vivre deux ménages, à savoir le sien et celui du couple Ségalat. Pour le Ministère public, l'accusé est un homme calculateur, raisonneur et fin stratège. Nombre de témoins l'ont dit. " C'est une personnalité remarquable dans ses pensées et raisonnements. Il est éclectique et peut travailler sur plusieurs tableaux. Son codétenu le dénoncera du reste en affirmant que Laurent Ségalat préparait toutes les éventualités liées à la dynamique des gouttes de sang retrouvées sur le col de sa chemise. Il cherchait une raison qui tienne la route pour les justifier. Et les modalités de la reprise de la librairie ne lui convenaient pas, il l'a admis". Catherine Ségalat avait une espérance de vie d'au moins quinze ans. Durant toutes ces années, elle comptait sur une partie des revenus de la librairie pour vivre, ce qui n'arrangeait évidemment pas Laurent Ségalat. Des grands moments de turbulence agitaient cette reprise. " Laurent Ségalat n'était pas qu'un philanthrope désintéressé. Sans être un rapace, il tenait toute de même à son petit confort et il en a le droit ".
Les faits sont accablants pour l'accusé
Enfin, le procureur général s'est penché sur les faits. Même sans aveu, les preuves l'accablent. " Et ce n'est pas la pseudo expertise de la professeure Dominique Lecomte qui prouvera le contraire! " a-t-il affirmé. Le professeur Viera, qui casse mot par mot l'expertise de sa consoeur à une légitimité incontestable, tout comme les experts du Centre universitaire romand de médecine légale". Fait accablant parmi d'autres: certaines contusions de Catherine Ségalat sont des lésions typiques de défense. Et il tient l'intervention d'un tiers pour peu probable. " Pourquoi un tiers l'aurait-il laissée vivante sans rien emporter dans la maison, au risque de se faire dénoncer par sa victime? a lancé Eric Cottier. Du reste, aucun ADN autre que celui de l'accusé n'a été retrouvé sur les bagues et sous les ongles de Catherine Ségalat". Les projections de sang pures sur la chaudière attestent aussi qu'elles ont été faites alors que la victime était vivante et debout. " Enfin, que dire du fait que le timing donné par l'accusé ne joue absolument pas? Ce que l'on sait, c'est qu'à 17h26 il éteignait l'ordinateur de la librairie. A 19h31, sa femme a tenté de l'y joindre, sans succès. A 21h15, il appelait le 144. Il ne se souvient pas de ce qu'il a fait entre 17h et son appel au 144... " Le Ministère public a la certitude que Laurent Ségalat ne dit pas la vérité sur son emploi réel du temps ce jour-là. " Il a tenté de le reconstruire de manière à ce que sa présence au Moulin soit impossible entre 18h30 et 19h30" , estime le Parquet. Autre incohérence: le bottin de téléphone sur lequel aucune trace de sang n'a été retrouvée... Quant au rapport du Dr Fried, qui estime l'heure de la mort à 18h30 maximum, il est totalement incohérent; car alors, Catherine Ségalat aurait été morte à l'arrivée de son beau-fils. Se basant sur ces éléments concrets, et bien qu'en absence d'aveux et de mobile, le premier procureur a requis une peine de 16 ans de prison.
Ce vendredi matin, la parole est à la défense.