Il est passé de l’autre côté du miroir. C’était en 2014, à l’occasion du marathon des championnats d’Europe d’athlétisme, à Zurich. L’Obwaldien Viktor Röthlin terminait sa brillante carrière sur une cinquième place, à moins de deux minutes du vainqueur, l’Italien Daniele Meucci.

Jugez-en plutôt: champion d’Europe en 2010 à Barcelone (ESP) et médaillé d’argent à Göteborg (SWE) quatre ans plus tôt, le Suisse a également décroché une médaille de bronze aux Mondiaux d’Osaka (JPN), en 2007. Il a participé à quatre Olympiades, de 2000 à 2012.

Viktor Röthlin a, en outre, placé notre pays sur la carte du monde en marathon. Il en a profité pour abaisser à quatre reprises le record de Suisse, dont la deuxième, en 2004, sous la barre symbolique de 2h10’ (2h09’56’’).

Désormais retraité, l’Obwaldien représente une chaîne de magasin de sport depuis début 2018. Dans ce cadre, il était de passage à la Maladière, à Neuchâtel, en fin de semaine passée. «ArcInfo» en a profité pour s’entretenir avec lui quelques instants.

Viktor Röthlin, comment vous portez-vous depuis votre départ à la retraite?

Je ne cours plus 30 kilomètres par jour (rire)! Ma vie a complètement changé. Le sport n’est plus le centre de mon existence. Je suis père de deux enfants, je suis marié, j’ai un travail… Je cherche du temps pour les loisirs.

A vous entendre, ça n’a pas été facile de trouver un nouvel équilibre…

En effet. Je me considère comme un homme chanceux. Certaines personnes passent leur vie à chercher leur passion. Avec la course à pied, j’ai très vite découvert la mienne. Elle est devenue mon activité principale, mon job. Elle m’a également permis de vivre une carrière au haut niveau. Mais en marathon, ce temps est très limité.

Le problème avec une passion, c’est que tout ce que vous réalisez après est nettement moins intense.

Viktor Röthlin, ancien champion d’Europe de marathon

Le problème avec une passion, c’est que tout ce que vous réalisez après est nettement moins intense. Avec ce travail d’ambassadeur, j’ai en quelque sorte la possibilité de continuer d’entretenir ce feu pour la course à pied. Par mon expérience, j’essaye de former les vendeurs à trouver la chaussure parfaite pour nos clients. C’est une autre sorte de défi. Mais c’en est un.

L’Obwaldien Viktor Röthlin avait décroché la médaille d’or aux championnats d’Europe d’athlétisme, à Barcelone, en 2010. Le Suisse s’était imposé en 2h15’31’’. Photo: Keystone

Est-ce que le regard de la population sur les coureurs a changé depuis vos débuts, dans les années 1990?

Sans aucun doute. Auparavant, les pratiquants de course à pied et les coureurs comme moi étions vus comme des gens étroits d’esprit, respectueux de nombreuses règles très strictes: surtout, jamais d’alcool, jamais de chocolat… Tout s’est démocratisé depuis. C’est devenu un mode de vie. Les coureurs sont des Monsieur et Madame tout le monde aujourd’hui (réd: 17,6% des Suisses pratiquaient la course à pied en 2008, selon l’Office fédéral du sport. Ils sont 27% en 2020).

J’ai toujours été persuadé qu’il était humainement impossible de descendre en dessous des deux heures en marathon.

Viktor Röthlin

Je suis persuadé que l’augmentation du nombre de travailleurs dans le secteur tertiaire joue un rôle (réd: près de 4 millions d’emplois en 2018, +10,7% depuis 2011, selon l’Office fédéral de la statistique). Les gens passent leur journée derrière un bureau. Ils sont fatigués mentalement mais n’ont pas bougé de la journée. Ils ont besoin de se dépenser. Au contraire, les employés du secteur primaire ont suffisamment donné. Ils ne vont pas encore aller courir 10 kilomètres le soir, à 20h.

On a aussi vu l’importance de la course à pied durant la pandémie de coronavirus. Les salles de musculation et les cinémas étaient fermés. Mais la population a toujours eu la possibilité d’aller courir dehors.

1h59’40’’. Que vous inspire ce temps?

J’ai toujours été persuadé qu’il était humainement impossible de descendre en dessous des deux heures en marathon. Eliud Kipchoge m’a donné tort (réd: le coureur kenyan a établi ce record du monde le 12 octobre 2019 à Vienne). Même si cette marque n’est pas officielle (réd: il l’a réalisé hors compétition et a compté sur 41 lièvres, dont le Genevois Julien Wanders, détenteur du record d’Europe du semi-marathon en 59’13’’), elle marque les esprits.

Avec ses «Vaporfly», Nike a réalisé la plus grande évolution de ces 50 dernières années.

Viktor Röthlin

Elle est aussi représentative de l’évolution du marathon. Au tournant des années 2000, la barre des 2h10 était suffisante pour accéder au niveau international (réd: son record personnel est de 2h07’23’’, réalisé au JO de Pékin, en 2008). Maintenant, 2h05’, c’est le strict minimum.

Que pensez-vous de la nouvelle génération de marathonien en Suisse?

Je forge beaucoup d’espoir autour du Genevois Julien Wanders, même s’il n’a encore jamais participé à un marathon. Après les Jeux olympiques, j’espère qu’il s’y mettra. Il a la technique de course nécessaire pour s’y épanouir. Je suis certain que sa première course sera meilleure que mon record personnel!

Qu’en est-il des chaussures et de la technologie?

Avec ses «Vaporfly» (réd: le modèle porté par Eliud Kipchoge lors de sa tentative), Nike a réalisé la plus grande évolution de ces 50 dernières années. Entre l’amorti offert par leur semelle en mousse et le renvoi d’énergie de la lame de carbone, elles permettent une économie de course de près de 4% à une moyenne de 18 km/h. C’est énorme.

J’ai toujours pensé que l’asphalte était un frein aux performances et que, à moins d’avoir une piste spécifique pour de tels exploits, la barrière des deux heures pouvait dormir tranquille. Nike a, en quelque sorte, intégré cette idée dans des chaussures.

Nous avons pu nous entretenir avec l’ancien marathonien durant une bonne trentaine de minutes. De quoi aborder un certain nombre de sujets. Photo: Lucas Vuitel

Aurait-il fallu les interdire, à l’instar des combinaisons en polyuréthane en natation en 2010?

Je ne sais pas. Je ne comprends cependant pas pourquoi la Fédération internationale d’athlétisme (IAAF) a tant tardé avant de se prononcer. Son objectif est d’assurer une équité sportive entre les athlètes, soit. En attendant, sa décision d’autoriser ses chaussures pour les Jeux olympiques de Tokyo tout en interdisant toute innovation d’ici-là fait un gagnant: Nike. De plus, cette décision date d’avant l’arrivée du coronavirus et le report des JO (réd: la décision de l’IAAF a été prise le 31 janvier 2020).

Si vous étiez qualifié pour les Jeux olympiques de Tokyo, comment vous sentiriez-vous à l’heure actuelle?

Je serais très mitigé. Le Japon a étendu l’état d’urgence la semaine passée. Comment voulez-vous organiser une compétition dans ces conditions? Pourquoi ne pas «simplement» décaler les différents Jeux olympiques de quatre ans?

Réunir autant de personnes venues des quatre coins du monde en cette période? Ce n’est pas sérieux.

Viktor Röthlin

Je comprends les organisateurs: repousser la manifestation d’une année ou de quatre ans n’a pas la même influence sur la vie d’un athlète. Je ne suis pas certain que Nicola Spirig (réd: une triathlète suisse de 39 ans) continuera jusqu’en 2024, date des prochains JO.

Je n’arrive cependant pas à m’enlever de la tête qu’il y a aussi et surtout un intérêt financier derrière tout cela. Honnêtement, à la place des sponsors, je ne sais pas si je soutiendrais une pareille manifestation. Réunir autant de personnes venues des quatre coins du monde en cette période? Ce n’est pas sérieux.

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