Et si Police Région Morges (PRM) s’exerçait au tir en pleine nuit à Etoy? Cette perspective devrait devenir réalité, d’ici quelques mois.

Que les habitants se rassurent: ils n’en perdront pas le sommeil. Le stand de tir en construction au sud de l’autoroute se situe à l’intérieur d’un bâtiment existant, et il sera entièrement isolé sur le plan phonique. Si la police intercommunale a décidé d’en devenir copropriétaire en y injectant près de 300'000 francs, ce n’est pas uniquement pour sa facilité d’accès. Ce complexe, unique en Suisse, va révolutionner le quotidien des agents.

Des infrastructures inadaptées et saturées

A l’origine, il y a un constat. PRM, à l’image des autres corps de police, ne sait plus très bien où aller pour s’entraîner en bonne et due forme. A quelques encablures de ses locaux, il y a certes le stand des Effoliez, situé sur la commune d’Echandens. Seulement voilà. Avec ses cibles à 25 mètres, il n’est plus très adapté aux besoins des forces de l’ordre.

«La majorité des engagements d’arme de poing se fait à une distance située entre 0 et 5 mètres, explique le commandant Clément Leu. A 25 mètres, on ne peut pas vraiment dire qu’on est en conditions réalistes.» Mais pour le moment, c’est mieux que rien: «A défaut d’autre chose, on peut entraîner le départ du coup, la technique pure.»

Les autres infrastructures sont rares, et inadaptées. Quant à celles de l’armée, elles sont saturées. C’est bien simple, en 2020 et 2021, PRM n’a pu obtenir aucun créneau dans les places de tir militaires qu’elle utilisait jusque-là.

Ce drôle d’appareil baptisé Alpha

Clément Leu a donc cherché une façon de remédier au problème, lui qui doit assurer environ 1000 heures de formation par année à ses troupes. En 2017 déjà, il est entré en contact avec l’entreprise Swiss Defense Solutions (SDS), une start-up qui a développé un piège à balles novateur.

L'appareil est monté sur roulettes, et peut être déplacé manuellement. Photo: Cédric Sandoz

Celui-ci se présente sous la forme d’un appareil de deux mètres de haut, baptisé Alpha, recouvert d’un élastomère de nouvelle génération à mémoire de forme. Au moment de l’impact, «le trou est dix fois plus petit que l’épaisseur de la balle», expose Gédale Senato, directeur de SDS.

Une ingénieuse boîte à projectiles

Bardée de brevets, cette technologie est révolutionnaire à plus d’un titre. Toutes les balles et leurs fragments sont en effet absorbés, stoppés puis récupérés dans une boîte, qui peut en accueillir 5000 avant d’être vidée.

A l'arrière d'Alpha, une boîte réceptionne tous les projectiles. Photo: Cédric Sandoz

On le sait, les activités de tir contaminent les sols, et génèrent par là même d’importants coûts de dépollution, en raison du plomb contenu dans les projectiles. Avec le dispositif développé par SDS, «on peut les transférer directement chez le ferrailleur pour un recyclage en circuit fermé», expose Gédale Senato.

On a créé un cycle de durabilité appliqué à la formation au tir.

Gédale Senato, directeur de SDS

Les développeurs ont évidemment blindé leur dispositif sur le plan sécuritaire: celui-ci empêche tout ricochet, même avec un fusil d’assaut. Et pour éviter toute exposition des utilisateurs à des substances nocives, il est entièrement étanche et hermétique aux vapeurs de plomb. En clair, «on a créé un cycle de durabilité appliqué à la formation au tir», résume le directeur de SDS.

Les munitions peuvent être intégralement recyclées, sans aucune perte de plomb et de cuivre dans la nature. Photo: Cédric Sandoz

Convaincu par le concept, Clément Leu a bien songé à en équiper l’abri antiatomique de Beausobre, que PRM utilise déjà comme espace de formation, pour le transformer en stand de tir. Mais les contraintes auraient été trop nombreuses.

La solution se trouvait à Etoy

La solution n’était toutefois pas très loin. «A partir du moment où on avait la technologie, nous avons voulu aller à l’étape suivante et développer un stand de tir», explique Gédale Senato. Et c’est à Etoy qu’il a trouvé le bâtiment idéal pour concrétiser son projet de Swiss Training Academy (STA), dont PRM bénéficiera.

Quatre salles de tir, dont la première est en cours d’aménagement, sont prévues sur une surface totale de 1300 mètres carrés. Les murs, le sol et le plafond y seront recouverts du fameux élastomère, afin d’assurer une sécurité absolue. Un système de ventilation filtrant les particules fines, et par conséquent les émissions de plomb, y sera installé.

Cela permet de construire de scenarii à 360 degrés qui correspondent aux difficultés que l'on peut trouver sur le terrain.

Clément Leu, commandant de PRM

Mais ce n’est pas tout. Alors qu’Alpha est monté sur roulettes, et donc déplaçable, les salles seront équipées de cloisons mobiles pour varier les décors. L’autre avantage, c’est que l’édifice, inoccupé jusque-là, dispose déjà d’un parking souterrain et d’un accès motorisé. Un point essentiel: «Dans 95% des cas, en milieu urbain, une patrouille arrive en voiture, développe Gédale Senato. Le véhicule fait partie de la scénographie.»

«Cela permet de construire des scenarii à 360 degrés qui correspondent aux difficultés que l’on peut trouver sur le terrain», abonde Clément Leu.

Un projet à 10 millions

De quoi entrer de plain-pied dans le nouveau monde. «La mission de la police a énormément évolué ces dernières années, mais pas les stands, souligne Gédale Senato. On en est encore à tirer de face à 90 degrés comme lors de la Seconde Guerre mondiale.»

Pour mener à bien leur projet de STA, devisé au total à 9,8 millions de francs, Gédale Senato et ses associés ont mené une levée de fonds auprès d’investisseurs privés. Pour l’heure, les efforts se concentrent sur l’équipement de la première salle, dont le financement est d’ores et déjà assuré. Celle-ci devrait être prête cet automne.

Le but, c’est de faire de STA un complexe d’entraînement, que les professionnels pourront louer en journée, avec des possibilités d’y effectuer des exercices nocturnes. Le soir et le week-end, un club de tir privé y prendra ses quartiers. Mais quel intérêt, pour PRM, de devenir copropriétaire de cette nouvelle société?

Un accès prioritaire pour les policiers régionaux

Pour les forces de l’ordre intercommunales, c’est l’assurance d’y avoir un accès prioritaire, et de bénéficier de tarifs d’utilisation plus avantageux. A terme, ceux-ci devraient d’ailleurs être compensés grâce aux dividendes.

L’objectif est également de «positionner PRM comme un corps de police précurseur en matière de formation», peut-on lire dans le préavis validé par le conseil intercommunal, la semaine dernière. La participation de l’association, qui se monte à 295'000 francs, est toutefois conditionnée à l’octroi de l’autorisation d’exploitation qui devra être délivrée par les officiers de tir cantonal et fédéral.

Un partenariat public-privé

Pour Gédale Senato, cette collaboration permettra à l’académie de «pouvoir compter sur un partenaire public qui est au-devant de la scène au quotidien, afin que la STA devienne un centre d’expertise et de compétences».

Membre du conseil d’administration de STA, l’ancien municipal aubonnois Jean-Christophe de Mestral a siégé durant près de neuf ans au Conseil cantonal de sécurité. Selon lui, le complexe apportera un gain collectif, grâce à des infrastructures de formation enfin adaptées à la réalité d’aujourd’hui: «Cela permettra de réduire les pertes humaines, tant du côté des policiers que de ceux qui se trouvent sur les lieux de l’intervention.»

Pas d’équivalent en Suisse

Actif durant vingt-trois ans dans le contre-terrorisme, Bjorn Wouters (photo: DR) travaille aujourd’hui comme auditeur, formateur et conseiller dans le domaine de la sécurité et de la sûreté. Ce projet de stand de tir du futur en construction à Etoy, il le connaît bien. Et il explique en quoi il va révolutionner le quotidien des forces de l’ordre.

Qu’est-ce qu’il manque aux policiers aujourd’hui?
Il y a une lacune en termes d'infrastructure dès qu’on veut passer aux entraînements à balles réelles à 360 degrés/3D. Il existe des moyens factices, mais ils présentent des limites dans la perception que le policier a de l’armement qu’il porte sur lui. On voit que dès qu’il porte son arme de service, il y a un changement dans son comportement et, de facto, une influence sur sa prise de décision tactique.

En quoi cette technologie va-t-elle changer la donne?
On peut travailler à 360 degrés, en trois dimensions et à balles réelles. Cela permet d’optimiser la prise de décision et le choix de l’outil de contrainte. Car il s’agit avant tout de préserver la vie humaine et de garder les armes à feu comme ultima ratio pour neutraliser une menace. Mais pour cela, il faut pouvoir s’entraîner dans un environnement qui s’approche le plus possible de la réalité. Aucun stand ne le permet aujourd’hui en Suisse.

Nos policiers sont-ils mal formés aujourd’hui?
Non, mais il s’agit d’optimiser ce qui existe. Depuis la vague d’attentats en Europe, il y a un changement de paradigme. On ne vit plus la même criminalité. Ce ne sont plus les groupes d’intervention spécialisés, mais les primo-intervenants (police-secours, agents de quartier,...) qui interviennent en premier en cas de menace terroriste ou d'autres formes de criminalité grave. Il faut qu’on donne aux forces de l’ordre les moyens de rester au top en termes d'efficience et d'efficacité. Cela passe notamment par une qualité optimale de formation.

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