Bernard Challandes, vous avez assisté à la finale comme consultant invité de Christophe Bonvin au Clos du Château à Sion. L’Italie a-t-elle mérité son titre?

Oui car, après une première mi-temps difficile, elle a été l’équipe qui a le plus recherché la victoire. L’Angleterre a peut-être cru trop vite qu’elle arriverait à garder la maîtrise des 45 premières minutes. Au final, elle n’aura pas encaissé de buts sur des phases de jeu de tout l’Euro; juste un corner et un coup franc. Mais ça n’a pas suffi.

On a senti les joueurs italiens heureux et pas du tout fermés, comme s’ils allaient simplement jouer une partie de foot à cinq.

Bernard Challandes, sélectionneur du Kosovo

Peut-on dire que l’équipe qui a produit le plus beau jeu sur l’ensemble de l’Euro est championne d’Europe?

C’est en tout cas l’équipe qui m’a le plus emballé comme équipe. Dans la philosophie de jeu évidemment, avec des transitions rapides, les plongées de milieux de terrain ou encore une prise de risques offensive à travers notamment les dribbles de Chiesa. Mais aussi dans l’état d’esprit avec des images fortes comme celle de Chiellini qui rigole avant les pénaltys face à l’Espagne. On a senti les joueurs italiens heureux et pas du tout fermés, comme s’ils allaient simplement jouer une partie de foot à cinq.

Quand vous avez affronté l’Angleterre avec le Kosovo, vous avez pensé qu’il s’agissait de la meilleure équipe du monde. Que lui a-t-elle manqué pour décrocher un premier trophée depuis 1966?

Peut-être le courage en finale de vouloir marquer un deuxième but. L’entraîneur nous a surpris en commençant par une défense à cinq pour s’adapter aux forces de l’Italie, alors qu’il ne l’avait jamais fait jusque-là. Ça a été un succès d’entrée avec le but concocté par ses deux latéraux. Mais ensuite, l’Angleterre a trop voulu se contenter de cette maîtrise, avec même parfois un jeu de défense à onze, pensant que rien ne pouvait lui arriver.

Si Southgate avait réussi son pari, il aurait été un héros. Là, il devient un imbécile.

Bernard Challandes

Aujourd’hui tout le monde critique le coaching de Southgate avec les rentrées très tardives de Rashford et de Sancho juste pour tirer les pénaltys. Est-ce une erreur?

C’est un pari pris par le coach qui a échoué. Il est aussi là pour ça. S’il avait réussi, il aurait été un héros, là il devient un imbécile. C’est le prix à payer. Aurait-il pu faire entrer les deux joueurs plus tôt? Ce sont deux attaquants et il ne voulait pas changer son système, ni sortir Kane qui allait tirer un pénalty ni Sterling capable selon lui d’être décisif jusqu’à la fin. En plus, Sancho et Rashford sont des tireurs de pénaltys dans leur club.

Ces trois jeunes joueurs anglais qui ont manqué leur pénalty mettront-ils du temps à s’en remettre?

Ce qu’il faut savoir, c’est que, même jeunes, des joueurs du niveau de Sancho, de Rashford et de Saka ont déjà une énorme confiance en eux. Et ça ne devrait pas être un pénalty manqué, même en finale de championnat d’Europe, qui peut ébranler cette assurance sur du moyen terme.

Durant cet Euro, il y a beaucoup de séries de tir au but. Pour vous, ce n’est pas une loterie?

Non, ce n’est pas une loterie, car il y a un geste technique à effectuer avec un maximum de pression. Cela démontre aussi les qualités d’une équipe et de son gardien. Et l’on voit qu’il est de plus en plus difficile de marquer son pénalty. Aujourd’hui, il faut le tirer très fort et plutôt en l’air pour le réussir, car les gardiens attendent de plus en plus le dernier moment pour plonger et partent donc souvent du bon côté en allant vite au sol.

J’étais persuadé que la Suisse avait le niveau pour réaliser cet exploit dans une grande compétition.

Bernard Challandes

Le gardien italien Donnarumma a d’ailleurs été désigné joueur de l’Euro après avoir arrêté des pénaltys contre l’Espagne et l’Angleterre.

C’est bien, une fois, de donner ce titre à un gardien plutôt qu’à un joueur de champs. A mes yeux, Donnarumma a surtout été le héros de cet Euro 2021 avec la dimension de suspens que génère une séance de tirs au but.

Photo: Keystone

La Suisse se retrouve représentée dans ces classements grâce à Steven Zuber, meilleur passeur de l’Euro avec quatre passes décisives alors que la Suisse est sortie en quarts et que Zuber n’a pas joué le premier match.

Et, en plus, il sortait d’une saison difficile avec son club. Mais Steven Zuber a rarement déçu sous le maillot de l’équipe de Suisse. Là, en quatre matchs, il aura réalisé un Euro extraordinaire en étant décisif contre la Turquie avec trois passes de buts. C’est la très bonne surprise de notre équipe nationale. Il se retrouve d’ailleurs avec plusieurs belles offres de clubs pour la suite de sa carrière.

Par contre, pour vous, la présence de la Suisse en quarts de finale n’est pas une surprise.

Non, car j’étais persuadé que la Suisse avait le niveau pour réaliser ce genre d’exploit dans une grande compétition. Le faire face aux champions du monde en titre a rajouté une plus grande dimension à cette qualification. Mais je ne dirais pas pour la Suisse qu’il y aura un avant et un après Euro 2021, car il y a déjà un certain temps que l’équipe nationale prouve avoir ce niveau.

Reste qu’au niveau de l’engouement en Suisse, on a vécu une semaine historique entre les matchs de la France et de l’Espagne.

C’est vrai. Je n’avais jamais vu ça en Suisse pour l’équipe nationale et ça a fait un bien fou à tout le monde, surtout après cette année très difficile avec le Covid. On a fait plus de bruit que les Italiens pour leur qualification (rires), alors que quelques jours auparavant après la défaite face à l’Italie les critiques étaient très virulentes.

J’ai toujours trouvé complètement surréaliste de passer d’un extrême à l’autre en aussi peu de temps. Mais revoir le football procurer autant de joie à un public qui peut de nouveau se réunir a peut-être été la plus belle réussite de cet Euro, même si la qualité du football présenté était aussi très élevée, selon moi.

C’est tros simpliste de dire que la Suisse à onze contre onze aurait pu battre l’Espagne.

Bernard Challandes

Pensez-vous, comme certains, qu’à 11 contre 11, la Suisse aurait pu battre l’Espagne avant la séance de pénaltys ?

Ce raisonnement est trop simpliste, même si l’expulsion de Freuler intervient juste après quelques séquences où l’on a fait souffrir un peu l’Espagne. Par contre, à onze contre dix, sans Freuler ni Xhaka face à l’équipe qui sait peut-être le mieux jouer au ballon de la compétition, on peut vraiment dire que la Suisse a été héroïque.

Ces deux performances face à la France et à l’Espagne doivent donner beaucoup de confiance au groupe pour les prochaines compétitions et notamment la Coupe du Monde au Qatar. Surtout que l’équipe est jeune.

Photo: Keystone

Annoncée comme grande favorite, la France fait évidemment partie des déceptions de cette compétition. Comment analysez-vous leur contre-performance?

Jusqu’au match contre la Suisse, la France a été celle que l’on connaît, très réaliste, même si pas toujours spectaculaire. Mais l’on ne ressentait déjà pas la même sérénité que lors de la dernière Coupe du Monde. Le fait qu’elle a continué de gagner après la Coupe du Monde a certainement créé une fausse tranquillité, une fausse sérénité qui a fait croire aux joueurs qu’ils pouvaient retourner n’importe quelle situation.

Revoir le football procurer autant de joie à un public qui peut de nouveau se réunir a peut-être été la plus belle réussite de cet Euro.

Bernard Challandes

Cela a débouché sur cet excès de confiance à 3-1 contre la Suisse, où l’équipe a oublié certains principes de défense. Une fois, tu le paies et tant mieux pour la Suisse qui a mérité sa qualification avec un match fantastique. Mais, du côté français, il ne faut pas obligatoirement tout remettre en question à la suite de cet échec.

Vous avez relevé la qualité du football présenté durant cet Euro. Le retour du public a-t-il pu influencer cette qualité?

C’est surtout le travail réalisé dans les équipes nationales avec une intelligence tactique toujours plus importante qui se rapproche de plus en plus de celle des clubs.

Pour moi par exemple, une confrontation comme Espagne-Italie a été un régal au niveau de l’affrontement des philosophies de jeu. Et la présence du public a permis de retrouver le football que l’on aime avec la joie et les peines des supporters et les interminables discussions de bistrot où l’on peut de nouveau se réunir. Ce retour à une certaine normalité a été vécu partout plus intensément.

En savoir plus: Notre dossier sur l’Euro 2021

Lettre à Bernard Challandes, éternel entraîneur

Démis de ses fonctions de sélectionneur national du Kosovo après avoir fait rêver tout un peuple, le Neuchâtelois de 70 ans revient sur sa carrière et se confie à «ArcInfo».