Voilà trois ans que Nils Nielsen a repris l’équipe de Suisse des mains de Martina Voss-Tecklenburg. Et autant dire que le style a changé. Loin de la rigueur germanique, le Danois est amateur de la bonne phrase.

Lors de l’annonce de sa sélection pour l’Euro – qui commence ce mercredi 6 juillet avec Angleterre – Autriche (21h) et ce samedi 9 juillet pour la Suisse contre le Portugal (18h) – et pour parler de l’absence d’Alisha Lehmann, qui a décidé de faire l’impasse pour se préserver mentalement, il a souligné: «La vie est trop courte pour faire des choses dont on n’a pas envie».

Après la défaite 7-0 contre l’Allemagne en match de préparation, il a résumé son sentiment ainsi: «C’est comme une fondue chinoise. Le bouillon est bon, le vin à côté est excellent, mais la viande est trop dure et rend le tout indigeste. Pourtant, il va falloir digérer cette défaite.»

Nils Nielsen détonne autant qu’il est apprécié de ses joueuses. Sur un canapé d’un hôtel zurichois, il livre sans détour sa vision du football et explique le long chemin qu’il reste à parcourir pour les femmes dans ce sport.

La préparation de l’équipe a duré un mois. Qu’avez-vous appris sur votre équipe que vous ne connaissiez pas déjà?

C’est très différent d’avoir les joueuses sur une si longue période. Cela se rapproche de ce qui se fait dans les clubs. Nous avons pu nous entraîner sans avoir à ménager les filles, vu qu’elles n’ont pas d’obligation avec leurs équipes juste après. Pour un entraîneur, c’était une période plaisante, j’ai pu me concentrer sur les détails.

Quel est le style Nils Nielsen? Qu’aimez-vous voir sur le terrain?

Du plaisir! Car le football est un jeu et doit être un moment amusant, c’est ma philosophie. Cela le devient plus facilement en cas de victoire, mais il faut aussi trouver du biscuit dans la défaite.

En n’étant pas la meilleure équipe, ta principale qualité doit être la souplesse, et c’est ce que je veux voir dans mon équipe: l’adaptation.

En termes tactiques, nous ne sommes pas, en Suisse, en mesure de dicter le jeu et ignorer les forces de l’adversaire. Pour l’emporter, nous devons inlassablement trouver la bonne solution.

En n’étant pas la meilleure équipe, ta principale qualité doit être la souplesse, et c’est ce que je veux voir dans mon équipe: l’adaptation. Il faut prendre des initiatives et ne pas être dans la réaction.

L’équipe de Suisse s’est qualifiée pour trois des quatre derniers tournois majeurs. Est-ce que le football féminin est en progression dans le pays?

Oui, il s’est amélioré. Le plus gros changement a été fait dans les clubs. Servette-Chênois, par exemple, fait beaucoup pour les conditions des joueuses. Elles sont dorénavant mieux préparées à s’entraîner et jouer des matches sans être occupées 24 heures sur 24 avec un travail à côté.

C’est important de renforcer la ligue pour que les talents ne partent pas trop tôt. Car ce n’est pas la solution miracle pour toutes les joueuses.

Vous étiez à la tête de la sélection nationale danoise lors de sa deuxième place à l’Euro en 2017. Comment aviez-vous vécu la montée en puissance du football féminin là-bas?

Cela avait commencé deux ans plus tôt, quand la télévision nationale avait décidé d’investir. Elle voulait diffuser tous les matches et avait acheté aussi les droits pour les compétitions de club.

En Suisse, les gens attendent des résultats pour investir sans prendre de risque. Au Danemark, des personnes ont vu du potentiel et ont mis l’argent.

Oui, l’épopée de 2017 a aidé, mais l’engouement avait commencé avant. Toutes les joueuses étaient connues du grand public. En Suisse, les gens attendent des résultats pour investir sans prendre de risque.

Au Danemark, des personnes ont vu du potentiel et ont mis l’argent. C’est peut-être pour cela que nous sommes moins riches, on dépense sans connaître la finalité (rires).

Pour que le football féminin progresse en Suisse, il suffirait donc d’un coup de pouce médiatique?

Non, c’est un des pas en avant à faire (réd: la RTS diffusera tous les matches de l’équipe de Suisse en plus d’autres affiches). Un autre concerne le développement des talents. Pour l’instant, soyons honnêtes, c’est ridicule. Dans les clubs, des personnes bossent à 200% et sont payées à 10%.

Pour les équipes nationales féminines, nous avons quatre postes et demi dans la technique alors que pour les hommes, ils sont quoi? Vingt-cinq? Je suis le seul engagé à plein temps et je m’occupe en plus des M18.

Difficile de faire du développement dans ces conditions. Personne n’est concentré à 100% sur le football féminin. Nous sommes à des années-lumière d’offrir les mêmes possibilités aux filles qu’aux garçons. C’est avant tout une question de ressources.

Concrètement, quelle devrait être la prochaine étape pour développer le football féminin en Suisse?

Toutes les meilleures équipes du monde ont des formations M23 ou M21 où elles peuvent faire évoluer leurs meilleures joueuses au niveau international. En Suisse, la formation s’arrête en M19. Les clubs ne peuvent pas faire le travail tout seuls!

C’est un travail à faire en commun. J’essaie d’organiser des camps pour les joueuses qui sont un peu entre deux, mais elles ne peuvent pas vraiment faire de matches. Oui, elles sont sur ma liste, mais il y a 60 filles sur ma liste maintenant.

Et elles n’ont de loin pas toutes le niveau pour jouer avec l’équipe nationale A. Il faudrait une autre formation où elles peuvent évoluer et s’épanouir pour garder le football dans leurs vies.

La Suisse peut pourtant compter sur une belle génération.

Oui, aujourd’hui, nous avons la chance d’avoir des top-joueuses avec nous. Mais nous devons réussir à maintenir l’intérêt de toutes pour le football. Je comprends qu’une jeune de 20 ans, qui ne gagne pas sa vie avec le football, commence à travailler à côté et découvre un autre quotidien que celui d’une sportive de haut niveau.

Il faut offrir des opportunités à ces filles-là quand elles sont en plein développement et pas trois ans trop tard. Ce qu’il faut, c’est davantage de ressources pour offrir les mêmes chances aux hommes et aux femmes dans le développement des talents. Ainsi notre succès sera continu et non basé quasiment uniquement sur une bonne génération.

Patrick Biolley/La Liberté

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