«Il n'y pas de doute que le squelette et les pages d'un journal que nous avons découverts fin juillet sur l'archipel François-Joseph, sont les restes de l'expédition de Guéorgui Broussilov, considérée comme perdue», a déclaré Oleg Prodan, chef de l'équipe russe partie cet été sur les traces de l'expédition.
Le sort de la goélette «Sainte-Anne» partie de Saint-Pétersbourg (nord-ouest) en 1912 pour une première traversée par la Route maritime du nord jusqu'à Vladivostok, en Extrême-Orient russe, demeure inconnu. Au bout de deux ans, pris par les glaces dans la mer de Kara, au nord de la Sibérie, 11 des 24 membres de l'équipe, menés par le navigateur Valerian Albanov, en conflit avec le capitaine, décidèrent de quitter la goélette dérivant vers le pôle Nord, pour gagner la terre ferme.
Deux d'entre eux, dont Albanov, ont atteint l'archipel François- Joseph. Dans ses Mémoires publiés en 1917 Albanov expliquait avoir quitté le navire pour laisser les vivres au reste de l'équipe.
Son récit a inspiré l'écrivain soviétique Veniamine Kaverine pour son roman «Les deux capitaines» (Prix Staline en 1946), qui fut un livre culte en URSS. «Nous ne savions rien sur les membres qui ont suivi Albanov», car son groupe s'est scindé à son tour: lui et quatre autres membres sont partis en kayaks improvisés, alors que les autres devaient arriver par la banquise au cap Grant (au sud de l'archipel), le point de leur rencontre. Mais ces derniers n'y sont jamais parvenus.
Exténués par le froid, ces hommes mal équipés ont marché pendant 75 jours sur la banquise, se nourrissant de galettes de seigle, a raconté l'explorateur Vladimir Melnik. Ils marchèrent toute une journée, mais découvrirent le soir qu'ils n'avaient pas avancé d'un pouce, car la banquise dérivait en sens inverse.
L'équipe partie cet été, aidée par des gardes-frontière russes, a suivi l'itinéraire décrit dans les «Mémoires d'Albanov». Au cinquième jour de recherches «nous avons découvert le squelette d'un homme», a raconté Oleg Prodan. Puis quatre pages du journal d'un matelot datées de 1913, conservées dans la glace, prouvant qu'il s'agissait bien de restes des rescapés de la «Sainte-Anne». «Aujourd'hui nous avons eu notre dernière dose de tabac. Les allumettes, on n'en a plus depuis longtemps», lit-on sur ces feuilles remplies d'une écriture soignée.
On y apprend également qu'«il y a eu une chasse à l'ours blanc, ou que le capitaine Broussilov, qui était malade, se portait mieux, et qu'on lui a même fait faire un tour en luge autour du navire», a raconté Oleg Prodan.
Les explorateurs ont également ramassé une montre, une cuillère portant les initiales d'un matelot, des raquettes à neige, un couteau et une paire de lunettes de soleil, confectionnées par le mécanicien du navire avec des culots de bouteilles de rhum. «C'était si émouvant de trouver ces lunettes que nous nous imaginions si bien grâce à la description d'Albanov», a raconté Vladimir Melnikov.
Adapté deux fois au cinéma, le roman «Les deux capitaines» a également inspiré le spectacle musical «Nord-Ost», dont une représentation en octobre 2002 à Moscou avait donné lieu à une gigantesque prise d'otages par un commando tchétchène. Cent trente spectateurs avaient péri. /MLA-afp