null L’expérience de la pandémie, puis celle de la guerre en Ukraine, nous obligent à réviser notre notion du temps. Au début de chacun de ces événements, nous avons sérieusement cru être entrés dans une période courte, un an, ou à peine plus.

Nous étions fascinés par le terme à atteindre le plus rapidement possible. Mais nous sommes ensuite passés au temps long, c’est-à-dire à l’impression d’un temps interminable, prolongeable à l’extrême. Aussi, attendons-nous sans illusion la fin de la guerre, en même temps que nous craignons le retour du coronavirus.

Tout d’un coup, il nous semble revivre les temps mythiques de la Grande Guerre de 14-18 et de la Deuxième Guerre mondiale de 39-45. Ce qui, autrefois, apparaissait à nos parents comme une longue attente est devenu pour nous un temps vide, orienté vers un terme insaisissable. Nous prenons conscience de l’épais mystère des périodes passées, condamnés que nous sommes à décliner le début de la catastrophe sans pouvoir en connaître la clôture.

En tant qu’êtres libres et responsables, nous ne pouvons pas, en effet, nous résigner à l’indétermination de la mémoire et de l’oubli. Nous avons besoin de nous accrocher à la bouée de sauvetage de l’espérance.

C’est ainsi que le temps éprouvé nous fait hésiter entre la mémoire, l’oubli et l’espérance. En tant qu’êtres libres et responsables, nous ne pouvons pas, en effet, nous résigner à l’indétermination de la mémoire et de l’oubli. Nous avons besoin de nous accrocher à la bouée de sauvetage de l’espérance. Tandis que les croyants prient pour la fin de la guerre et appellent les puissances de ce monde à y mettre fin, les stratèges dissertent à n’en plus finir sur l’extinction des hostilités. Or, la science militaire, pas plus que la science politique, n’est une science exacte.

Pour que dénouement de la crise il y ait, encore faut-il que les acteurs volontaires de la guerre et que ses victimes changent de point de vue et de situation. Les soldats sur le front, sont les premières de ces victimes, bien plus que des acteurs. Le discours idéologique des belligérants leur donne l’illusion d’être eux-mêmes des acteurs. Plus la fin de la guerre se profile à l’horizon, plus les acteurs prennent conscience de l’absurdité de ce discours. La guerre n’est plus une fatalité, mais une opération dictatoriale.

Le temps de la guerre cédera sa place au temps lui-même incalculable et imprévisible de la paix. Et recommencera la campagne sans fin de la prévention des guerres et du partage équitable des territoires et des pouvoirs. La Russie entrera peut-être alors dans le temps démocratique.

Ô temps, suspends ton vol

La pandémie, suivie de la guerre en Ukraine, nous contraint à revoir notre notion au temps, soutient l’éthicien, théologien et professeur honoraire de l’Université de Genève Denis Müller.