null La tragédie qui se déroule présentement en Ukraine nous rappelle à quel point l’Europe est fragile. Dans un livre admirable, le philosophe ukrainien Constantin Sigov tisse avec profondeur le lien qui rattache l’histoire de l’Ukraine à son avenir européen et, plus largement, à l’avenir même de l’Europe («Quand l’Ukraine se lève. La naissance d’une nouvelle Europe», Talents éditions, 2022).

Dans sa tout aussi admirable mais plus brève «Lettre de Kiev», le même auteur a montré comment la résistance de l’Ukraine face au pouvoir dictatorial de Vladimir Poutine rappelle l’attitude de Dietrich Bonhoeffer contre la tyrannie nazie.

Pour bien comprendre le point de vue de Sigov, élève de Paul Ricoeur, auteur et éditeur de nombreux ouvrages, il faut saisir l’importance qu’il accorde aux racines historiques de l’Ukraine. Toute la stratégie perverse du président russe consiste à dénier cette histoire, à effacer l’Ukraine de la carte de l’Europe et du monde.

La question de la nouvelle Europe en gestation n’est pas d’abord une question de territoire, mais une question d’identité morale et de valeurs partagées.

Comme toujours en géopolitique, la transgression des frontières marque le commencement de la guerre, voire du génocide. Sigov ne cache pas la perspective chrétienne de sa philosophie politique et de son patriotisme européen: non qu’il veuille affirmer la christianité universelle et totale de l’Europe, mais il prend en compte, parmi ses autres influences, l’enracinement chrétien du continent.

Nous sommes très loin, de la sorte, des prétentions absurdes de Poutine et de son vassal le patriarche Cyrille de Moscou, lorsque tous les deux instrumentalisent honteusement la foi chrétienne pour la mettre au service du pouvoir impérialiste et de la prétendue pensée politique.

Car la question de la nouvelle Europe en gestation n’est pas d’abord une question de territoire, mais une question d’identité morale et de valeurs partagées. Dans une telle perspective, rien ne s’oppose, notons-le, à ce qu’un jour – si lointain soit-il – une Russie démocratique et cosmopolitique participe elle-même au devenir de la nouvelle Europe.

Cela supposerait non seulement l’effondrement de Poutine mais aussi celui de la tyrannie post-soviétique et impériale de l’actuelle Russie. Dans une telle utopie, le christianisme pourrait être appelé à jouer un rôle libérateur et fondateur au cœur même de l’Europe.

L’Ukraine et la nouvelle Europe

Pour comprendre le conflit en Ukraine, il faut saisir ses racines historiques et son identité, estime Denis Müller, éthicien, théologien et professeur honoraire de l’Université de Genève.