«La ville n’est jamais là où je l’ai laissée, elle devient autre dès que je cesse de la regarder (…). Ou peut-être que j’ai peur de ne pas trouver les mots pour aller à sa rencontre.»

Pour certain(e)s, la Fête des vendanges est un vendredi soir qui se mue insidieusement en un lundi matin à gueule de menuiserie: la bouche engluée de confettis devenus copeaux de vagues réminiscences. Pour moi, «Mémoire pendant les travaux», de l’écrivaine Hélène Bezençon, a été une lecture de fin de samedi qui n’en finira jamais de faire naître des vagues dans ma charpente. Splendide houle des livres façonnés depuis la forêt obscure d’une existence.

Il ne s’agit pas ici d’arbres, pourtant, mais d’une voix d’encre qui se cherche en tâtonnant le temps et l’espace ayant fondé et foudroyé Berlin. Un chaperon aux couleurs incertaines qui danse, trébuche, miroite, ensable l’histoire de cette ville: «(…), pour garder un contact avec le sol que des années d’errance ont glissé sous ma parole.»

«Et le silence que j’avale avec un verre d’eau pour me rendormir.»

On entre dans cette quête par la reproduction d’un «terrain de jeu» du peintre Rolf Blaser; couverture somptueuse. Rapidement s’y déploient «des lacunes de construction», comme on dit, c’est-à-dire «des espaces vides, là où il y avait des maisons». Les accidents de personne de la cité, me suis-je dit.

Des accidents de quelqu’un(e), en fait, ce terrible refrain saisonnier rappelant l’étau trop bien calé sur tant de poitrines. Il est des dépressions dans l’histoire et dans le bâti, aussi.

«Et le silence que j’avale avec un verre d’eau pour me rendormir.»

Le texte de l’écrivaine Hélène Bezençon, qui a vécu dans la capitale allemande après avoir passé une trentaine d’années à La Chaux-de-Fonds, a été écrit en trois ans. Il en est d’autres qui n’auront mobilisé que trois semaines, au mieux trois mois. Toute personne ayant lu au moins trois livres sent la différence en trois minutes. Peut-être même en trois secondes.

Publié en 2005, ce livre est le 4e de la collection neuchâteloise «Lieu et temps», créée par l’Association des auteurs neuchâtelois pour la création Littéraire (AACL), qui a fêté ses 20 ans le samedi 24 septembre à l’Atelier Grand Cargo, endroit infiniment précieux inventé par Yves Robert en 2016.

Des vagues dans ma charpente

Le bouquiniste Karim Karkeni partage son coup de cœur pour un roman de l’écrivaine chaux-de-fonnière Hélène Bezençon, écrit à Berlin entre 2002 et 2005 .