Deux semaines après le coup d’Etat au Niger, les dirigeants de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cédéao) doivent à nouveau se réunir ce jeudi pour évoquer la situation dans le pays (lire l’encadré).

Si une intervention militaire devait finalement être décidée, elle provoquerait de graves conséquences dans l’ensemble de la région. Une opération contre les putschistes bénéficierait en effet aux groupes djihadistes en extension au Sahel depuis plusieurs années, et qui sont particulièrement actifs au Mali et au Burkina Faso.

Qu’il s’agisse de l’Etat islamique au Grand Sahara (EIGS), de la branche locale d’al-Qaida (JNIM) ou de Boko Haram, «ces groupes profiteraient alors de la désorganisation des forces armées nigériennes occupées à lutter contre les forces de la Cédéao pour continuer à s’implanter et poursuivre leur avancée», prévient Anne Savey, experte indépendante sur le Sahel.

Mohamed Bazoum toujours détenu
Le 26 juillet dernier, des militaires putschistes du Niger, en proie à la violence djihadiste et jusqu’alors allié des pays occidentaux, ont annoncé à la télévision nationale avoir renversé le président démocratiquement élu Mohamed Bazoum, au pouvoir depuis 2021. Après le Mali et le Burkina Faso, le Niger devient le troisième pays du Sahel miné par les attaques de groupes liés à l’Etat islamique et à Al-Qaïda, à connaître un coup d’Etat depuis 2020. Un nouvel homme fort a émergé: le général putschiste Abdourahamane Tiani, chef de la garde présidentielle du Niger. Depuis le coup d’Etat, le président Mohamed Bazoum est séquestré.
La semaine passée, une délégation de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cédéao, 15 pays membres) s’est rendue à Niamey, la capitale, pour trouver une sortie de crise, Elle a imposé au Niger de lourdes sanctions, notamment économiques, et fixé un ultimatum aux putschistes, menaçant d’utiliser la force. L’ultimatum n’a pas été respecté, et il n’y a pas eu usage de la force.

Exploiter la suspicion

«Les djihadistes exploiteraient la suspicion qui existe entre les différentes forces armées nigériennes et la garde nationale», ajoute cette spécialiste, qui a travaillé pour des ONG spécialisées dans la médiation entre belligérants.

De plus, une intervention militaire freinerait considérablement les opérations en cours de collecte du renseignement et les actions menées par les forces militaires françaises et américaines, déployées à Niamey.

Une opération militaire achèverait de ruiner les dynamiques de coopération entre les Etats du Sahel et d’Afrique de l’Ouest en matière de lutte antiterroriste.

Anne Savey, experte indépendante sur le Sahel

«Le principal mouvement djihadiste implanté au Niger, l’EIGS, renforcerait sa présence à partir de la région de Tillabéri dans le sud-ouest, frontalier du Mali», explique Anne Savey, qui relève également «des ramifications de l’Etat islamique avec des groupes de personnes à Niamey», la capitale.

Selon les experts, une intervention militaire serait d’autant plus contreproductive en matière de lutte antiterroriste que depuis le printemps 2022, l’EIGS concentre ses efforts, côté malien de la frontière avec le Niger, dans la région de Ménaka, désormais entièrement sous la coupe djihadiste.

Risque pour les pays côtiers

Autre groupe extrémiste à avoir prospéré ces dernières années au Sahel, le JNIM (Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans) n’a pas, à ce jour, de zone sous son contrôle au Niger, seulement des axes de circulation et de ravitaillement vers ses places fortes malienne et burkinabée.

De là, les djihadistes cherchent à «descendre» vers les pays côtiers que sont le Ghana, le nord du Bénin et la Côte d’Ivoire. «Une opération militaire au Niger ne leur permettrait pas forcément d’avancer vers ces pays, note Anne Savey, qui avertit toutefois: si ces pays jusque-là alliés du Niger, comme le Bénin, le Nigeria et le Sénégal, interviennent militairement dans une opération qui durerait plus que quelques jours, cela libérerait une capacité d’action en faveur de l’agenda régional du JNIM vers ces pays côtiers.»

Pain bénit pour Boko Haram

Pour la faction djihadiste Boko Haram, dont l’épicentre est au Nigeria, une guerre serait du pain bénit dans la mesure où elle mettrait un terme à la coopération entre forces armées du Niger et du Nigeria. «C’est important en effet qu’elles puissent continuer de collaborer», insiste Vincent Foucher, chercheur au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), en France, et spécialiste de Boko Haram.

Implanté autour du lac Tchad, au croisement des frontières du Niger, du Cameroun, du Tchad et du Nigeria, le groupe Boko Haram s’est scindé en deux, voire trois factions. Celles-ci opèrent également dans la partie nigérienne du lac Tchad, le long de la rivière Komadugu, où elles ont des liens avec l’EIGS.

Elles pourraient profiter d’une opération armée pour avancer. «Le tempo pour une intervention armée n’est pas le bon», met en garde Vincent Foucher, «alors que ces factions sont absorbées par leurs luttes internes et qu’on a assisté ces dernières années à un renforcement des moyens aériens du Nigeria contre les djihadistes qui a conduit à une baisse du nombre d’incidents, une guerre remettrait en cause ces acquis».

Je ne pense pas que l’opération militaire de la Cédéao aura lieu.

Vincent Foucher, chercheur au CNRS et spécialiste de Boko Haram.

Pas «un tournant»

Le Nigeria a été en pointe dans la préparation d’une éventuelle action armée contre les putschistes nigériens. «Depuis 2014, si la coopération antidjihadiste Nigeria-Niger n’est pas une réussite parfaite, reconnaît Vincent Foucher, on a quand même vu récemment des troupes du Niger entrer en territoire nigérian pour aider les soldats alors que les relations entre les deux pays n’étaient pas bonnes auparavant.»

D’où un risque de retour en arrière. «Pour toutes ces raisons, je ne pense pas que l’opération militaire de la Cédéao aura lieu», dit-il.

Un scepticisme partagé par Anne Savey. «Même si une guerre ne serait pas un “game changer” (réd: un tournant) en faveur des djihadistes, une opération militaire achèverait de ruiner les dynamiques de coopération entre les Etats du Sahel et d’Afrique de l’Ouest en matière de lutte antiterroriste notamment, alors que ces Etats ont déjà du mal à s’entendre», estime la spécialiste.

«Et pour quels résultats en termes de capacité à remettre le président Mohamed Bazoum au pouvoir et à faire rentrer les militaires dans leurs casernes? Ce n’est certainement pas, conclut-elle, en allant les défier qu’on y parviendra.»

Georges Malbrunot / Le Figaro

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