Le jeune bénédictin du prieuré Saint-Pierre de Môtiers s'est levé avant le soleil pour éviter les grandes chaleurs de l'été. Parti la veille, il rallie l'abbaye de Montbenoit, en Franche-Comté, avec laquelle sa communauté entretient de nombreuses relations. Il a passé la nuit dans une ferme fortifiée, non loin de l'endroit où nous le trouvons. En ce mois de juillet de l'an 1532, la région n'est pas sûre et les brigands nombreux. Frère Gabel n'a d'ailleurs pas manqué, passé Boveresse, de s'agenouiller devant le Grand Tilleul, dont les flancs déchirés par la foudre abritent une statue de la Vierge, protectrice des moines voyageurs. Il était loin de se douter que cinq ans plus tard, fuyant la Réforme, lui et ses frères emprunteraient cet itinéraire pour la dernière fois, plongeant la Vy aux Moines dans l'oubli.
Tout est vrai dans cet épisode de la vie d'un moine du Val-de-Travers au XVIe siècle; tout, sauf Frère Gabel, qui n'a jamais existé. Mais il aurait très bien pu emprunter la Vy aux Moines, ce chemin médiéval que l'association du même nom, côté suisse, et la Communauté de communes de Montbenoit, côté français, ont réveillé. Cette voie («vy» en vieux français), jadis entre deux murs, relie le prieuré de Môtiers, aujourd'hui propriété de Mauler, à l'abbaye de Montbenoit, dans le département du Doubs. Trente-cinq kilomètres jalonnés de sites historiques et naturels, que baliseront bientôt des panneaux explicatifs. Après six ans d'efforts et de recherches de fonds, l'inauguration est prévue pour le printemps prochain, mais le sentier sera ouvert dès cet automne pour les randonneurs. Les vététistes devront, en revanche, patienter encore un peu.
«Le sentier n'a jamais vraiment été oublié au Val-de-Travers, raconte Nicolas Giger, président de l'Association de la Vy aux Moines. Et cela grâce au Grand Tilleul qui se trouve au-dessus de la «gare du haut» de Boveresse. Tout le monde sait que les moines s'y arrêtaient pour prier la Vierge.» Agé de quelque 600 ans, le vénérable au ventre creux, appelé aussi le Tilleul des catholiques ou le Tilleul des druides, laisse entrevoir ses entrailles. Et au milieu, un petit socle naturel, sur lequel la statuette sainte, aujourd'hui disparue, avait été déposée.
La ferme fortifiée dans laquelle trouvaient refuge les moines n'existe plus non plus. Mais le promeneur pourra se consoler en découvrant, à Jolimont, peu avant le Signal-des- Français, la maison d'été de la famille de Pury; puis, juste en dessus, sur le domaine de Monlési, celle de la famille Berthoud, dont l'ancêtre, le colonel Pury, aimait à accueillir dans cette demeure son ami Jean-Jacques Rousseau, qui suivait la Vy aux Moines pour s'y rendre entre 1762 et 1765.
Passé le Signal, le sentier file ensuite sur les Charbonnières, puis les Bans, avant de redescendre sur le lac des Taillères. A quelques kilomètres au nord, Le Bredot, passage frontière autrefois chéri des contrebandiers de tout poil, conduit aux Rochers-du-Cerf. Puis à La Perdrix, Hauterive-la-Fresse, et enfin Montbenoit.
«Les sites les plus importants accueilleront des panneaux explicatifs, précise Priscille Ecarnot, secrétaire de la Communauté de communes de Montbenoit. Ce seront les mêmes en Suisse et en France, avec comme logo une fée pour le Val-de-Travers, et un petit lutin pour nous.» Une carte-guide, en cours de réalisation, sera également disponible dans les offices du tourisme. De quoi réjouir frère Gabel. /FAE