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«Moi Pedrosa, peut-être Mucha»

01 nov. 2011, 11:10

Si Cyril Pedrosa ressemble à son héros, jeune dessinateur de BD qui se plaint que son œuvre n'intéresse personne, il devrait assez rapidement se détacher de ce personnage, car s'il est un album de la rentrée qui ne laisse pas indifférent, c'est bien son monumental «Portugal». Ses deux cent quarante pages se divisent en trois parties de longueurs trop inégales pour faire trois volumes séparés. De surcroît, on perçoit tout de suite ce qu'un tel saucissonnage, dont les éditeurs sont hélas trop coutumiers, aurait de contre-nature face à un tel objet: il anéantirait le rythme, la respiration, on aimerait dire la pulsation de cette aventure où il se passe si peu de choses et où en même temps se joue la subtile métamorphose d'un être dans l'acceptation de ses origines et de sa vie jusque-là un peu bancale.

Allégement

L'auteur a mis deux ans à venir à bout de cet opus magnum, et l'évolution intérieure de son héros nous est rendue sensible par une évolution des traits dont l'auteur n'a peut-être été que partiellement conscient: le héros s'éclaircit en effet au cours de l'album; proprement il s'allège, et le jeune homme fin et détendu des dernières pages apparaît bien différent du personnage noiraud et affublé de forts sourcils qu'il est encore dans les premières pages. L'idée qu'il y a de l'autofiction dans ce récit effleure évidemment très vite le lecteur, mais le fait que Pedrosa ait donné à son personnage un autre nom que le sien évite au lecteur de se focaliser sur la dimension personnelle. D'autant plus que le nom de Mucha qu'il donne à son alter ego apparaît fort bien choisi lorsqu'est finalement révélée l'énigme de son patronyme. Enigme au demeurant bien ténue et reposant à son tour sur un autre mystère qui nous persuade que la quête des origines est sans fin. Car si l'une des leçons de ce livre est que l'on est tous de quelque part et que l'on a toujours quelque chose à gagner à revenir sur son passé familial, on s'aperçoit dans le même mouvement que l'homme s'adapte plus vite qu'il ne croit à ses nouveaux environnements. Ainsi de l'oncle du héros qui, bien que de père portugais, est devenu un parfait Français, hâbleur, râleur et buveur de bourgogne. Il est vrai que le retour aux sources n'est fructueux que s'il permet un nouveau départ.

Pas de clichés

On appréciera que cet album parvienne à éviter tous les clichés liés un pays qui a particulièrement inspiré l'imaginaire moderne: ni la statue ni même la silhouette de Pessoa n'est ainsi présente dans «Portugal», et Lisbonne, la «ville blanche» ressassée par Tanner, Tabucchi, Pascal Mercier et tant d'autres auteurs n'est que très peu évoquée pour elle-même. Caractéristique à cet égard est la brève séquence où le héros, croyant reconnaître sa grand-mère dans une rue du blanc quartier d'Alfama, perd presque immédiatement de vue la silhouette qu'il poursuit. On ne saurait mieux exprimer la volonté de l'auteur de renoncer aux facilités grisantes d'une certaine évocation trop convenue de Lisbonne et aux prestiges d'un merveilleux à bon marché.

Le récit évolue ainsi à travers de larges séquences magnifiquement balancées, tour à tour joyeuses (le mariage de la cousine!) et contemplatives, aux ambiances colorées chaudes et s'éclaircissant à mesure que l'on va vers le sud. Les esquisses que le héros ne cesse de griffonner se mêlent au dessin de ses aventures; passé et présent se superposent, portugais et français cohabitent sans lourdeur ni redondance. On parle assez peu d'amour et pour ainsi dire pas de sexe. On décortique par contre des relations familiales qui, sans jamais être vraiment dramatiques, font apparaître des failles cachées. Une BD à découvrir lentement, et à relire, car elle fait apparaître des trésors dans des détails à première vue insignifiants. Sans esbroufe et sans effets de manche, «Portugal» nous raconte une aventure solaire, au fond toute simple, sans un seul «méchant» et qui nous réconcilie avec la possibilité que les êtres, comme les oiseaux des dernières pages, puissent échapper aux cages imaginaires qu'ils créent autour d'eux.

«Portugal», Cyril Pedrosa (scénario et dessin), éd. Dupuis, coll. Aire libre. 2011. Fr 51.70

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