CRITIQUE - PAR JEAN BOREL
Une émotion toute particulière nous saisit à la lecture de cet ouvrage et à la vision des monuments et des documents qu'il contient, palais et châteaux, églises paroissiales et cathédrales, peintures murales et vitraux, sculptures et enluminures, tapisseries, meubles et autres objets de toutes sortes à usage public, religieux ou privé. Comment se fait-il que tout cela soit à la fois si beau et si parlant, à la fois si proche et pourtant déjà si lointain?
Les auteurs, qui comptent parmi les meilleurs spécialistes de l'art chrétien médiéval, tentent au fil des pages de répondre à cette question en montrant d'abord comment l'art du Moyen-Âge a su imprimer en profondeur et marquer jusqu'à aujourd'hui le paysage architectural européen et celui de la France tout particulièrement. En mettant magnifiquement en lumière l'imagination et la créativité étonnantes avec lesquelles la société médiévale, à travers ses artistes et artisans géniaux, a réussi à opposer au naturalisme de l'Antiquité l'idéalisme de l'art roman d'abord, l'idéalisme et l'humanisme de l'art gothique ensuite.
Dans son souci de donner corps aux concepts spirituels abstraits, dans son désir de donner forme aux enseignements de l'Evangile et des saints, l'art roman et l'art gothique ont ainsi créé la voie de la sacralisation de l'espace ecclésial, reflet symbolique de la Jérusalem céleste, de la spiritualisation de l'image qui, plus qu'à rendre l'illusion de la nature, devait avant tout suggérer l'indicible, figurer l'invisible, sans perdre pour autant les valeurs positives du monde terrestre. Bien que les préoccupations de l'art et de la société modernes aient pris d'autres chemins et accusent la distance qui nous sépare de cette vision des choses, nous mesurons combien ce millénaire d'art médiéval de France reste vivant dans nos mémoires par la nostalgie qu'il ne cesse de réveiller d'une beauté qui renvoie à plus haut qu'elle-même.
«L'art du Moyen-Âge en France», Philippe Plagnieux, éd. Citadelles & Mazenod, 2010, 598 pages