C'est son obstination à remettre des millions d'indigents sur la voie d'une spirale vertueuse en leur permettant de créer leur petite entreprise qui a été récompensée, hier, par le prix Nobel de la paix. En lui attribuant cette distinction, de même qu'à la Grameen Bank, le prestigieux jury d'Oslo a mis en lumière qu'«aucune paix durable ne peut être obtenue sans qu'une partie importante de la population trouve les moyens de sortir de la pauvreté», a précisé son président, Ole Danbolt Mjoes.
A 66 ans, Muhammad Yunus, «très fier», ne boudait pas son plaisir hier et a annoncé qu'il ferait don de sa récompense de 1,4 million de dollars à des bonnes causes. Encensé par Jacques Chirac et Bill Clinton, il «reste concentré humainement sur son objectif, en toute simplicité et en sachant d'instinct déjouer les pièges de la vanité. On lui a maintes fois proposé des postes à responsabilité et très politiques, il a toujours refusé», explique Laurent Laffont, son éditeur, devenu un intime aujourd'hui.
Avant de devenir ce «prêteur d'espoir», tel qu'il aime à se définir, Muhammad Yunus a nourri des ambitions plus banales: diplômé en économie de l'Université de Dacca, capitale du Bangladesh, puis de l'université américaine de Vanderbilt. Toutefois, plutôt que d'enseigner aux Etats-Unis, situation probablement plus confortable, il choisit de revenir à Dacca en 1974, dans un pays tout juste indépendant et déjà exsangue. Mais chaque jour qui passe, il mesure le décalage entre les théories économiques qu'il enseigne et le drame de la pauvreté.
En 1976, ulcéré par les taux pratiqués par les usuriers, Muhammad Yunus prête un total de 27 dollars à quarante-deux femmes d'un petit village du Bangladesh. La Grameen Bank, premier organisme de microcrédit au monde, est née. Depuis, elle a prêté 5 milliards de dollars à un peu plus de 6 millions de personnes.
Un comble: à l'exception de trois années noires, elle a toujours dégagé des bénéfices. De l'Asie à l'Amérique latine en passant par l'Afrique, cette idée pionnière, qui consiste à octroyer de petites sommes destinées essentiellement à être investies dans le petit commerce, a fait des émules. Avec Muhammad Yunus, les pauvres, jusqu'alors exclus des systèmes financiers traditionnels, ont eu enfin droit au leur. Sûr et de bonne qualité.
Un système qui leur permet de retrouver une certaine dignité et de valoriser «l'esprit d'entreprise qui sommeille en tout homme», explique Muhammad Yunus, qui a toujours prôné des idées libérales.
Pragmatique, «c'est loin d'être un mystique», précise Laurent Laffont. Muhammad Yunus est aussi un infatigable innovateur. Inlassablement, il teste toutes les expériences possibles pour lutter contre la pauvreté, «parce qu'elle n'a rien à voir avec une société humaine civilisée». Après des prêts aux étudiants ou aux mendiants, il a récemment équipé en portables des milliers de «Grameen telephone ladies» qui, tout en exerçant une activité profitable de location, permettent à des paysans ou à des pêcheurs de vendre au meilleur prix leurs produits.
Sa dernière invention? Grameen Danone Food, une entreprise détenue à 50 /50 avec le groupe de Franck Riboud, dont la mission sera de distribuer des yaourts aux populations mal nourries et de créer des centaines d'emplois pour des fermiers et des ouvriers.
«Toujours avec simplicité et une extraordinaire capacité de pédagogie, je l'ai vu arriver à convaincre les grands de ce monde», se souvient Maria Nowak, disciple et admiratrice de la première heure, fondatrice en France de l'Adie, un réseau de microcrédit.
Il est vrai que, grâce à la ténacité de Muhammad Yunus, «les banquiers aux pieds nus» se sont imposés auprès de toutes les grandes institutions internationales comme l'une des solutions pour réduire le fossé entre riches et pauvres, leur action permettant d'adoucir la confrontation entre Nord et Sud. C'est aussi ce qu'entendait saluer, au travers de Muhammad Yunus, l'Académie suédoise. / SLD-Le Figaro