Cette étude analyse les conditions de travail des cyclistes à travers des récits de vie. Elle décortique les aveux de cyclistes impliqués dans différentes affaires de dopage et aussi des membres d'encadrement des équipes (soigneur, médecin et directeurs sportifs). A quoi s'ajoute une série d'entretiens avec des coureurs ayant couru dans les années 1990. Le tout pour mieux appréhender le «vécu» des cyclistes.
Ces chercheurs arrivent à cette conclusion très générale: le contrat de travail est un élément décisif pour l'exercice du métier de cycliste. Le système en place sous-entend un certains nombres d'incertitudes. Le seul but du cycliste est de les limiter. Pour y parvenir, il doit fournir des performances, des résultats. «Ils entrent dans un jeu où gain financier et précarité sont étroitement liés» explique l'étude. L'employeur exige des résultats à hauteur du salaire. Sans le savoir, le cycliste vient de mettre le pied dans l'engrenage du dopage.
«Beaucoup de cyclistes signent des contrats qui les obligent à se «charger»» témoigne Richard Chassot (38 ans). «Ce n'était pas mon cas. Mon plus grand salaire, lorsque j'évoluais chez Post Swiss Team, était de 3600 francs par mois. Avec ça, je ne subissais pas une très grande pression. En plus, cela ne m'aurait pas permis d'avoir accès aux produits dopants qui sont très chers. J'ai juste pris de la cortisone lors de mes deux participations à la Vuelta. C'était pour tenir le coup et suivre le rythme. Lors de mes deux victoires professionnelles (le Grand Prix de «La Liberté» et une étape au Tour de Hesse), je courais à l'eau claire.»
Le Fribourgeois avoue avoir eu la chance d'évoluer dans de petites équipes avec des petits budgets. «Si j'avais eu assez de talent, j'aurais été pris en charge par des grosses équipes et j'aurais certainement été beaucoup plus confronté au dopage» estime-t-il. «Cela dit, je pense que mon éducation m'aurait empêché de tomber dans ce piège.»
Là, le Fribourgeois met le doigt sur une question fondamentale: l'éducation et le niveau d'études des cyclistes. «Beaucoup d'employeurs profitent de la précarité sociale des cyclistes pour les obliger à se plier au système», constatent les chercheurs. «Quand tu touches beaucoup d'argent, tu rentres dans un cercle vicieux» poursuit Richard Chassot. «Dès que le coureur entre dans le système du dopage, il devient comme un alcoolique. Sans s'en rendre compte, il devient dopé.»
Richard Chassot parle aussi du «cercle infernal de l'influence». Certains dirigeants, médecins et parents y participent. «La recherche de la performance à tout prix est le grand piège. Dans la vie courante, 20% des gens sont prêts à tricher pour obtenir un résultat. Dans le sport d'élite, cette proportion triple.» Pour en venir à la situation actuelle, Richard Chassot estime que le dopage est réservé à une élite. «Il faut avoir les moyens d'entrer dans un réseau et de financer une lourde prise en charge médicale» analyse-t-il. «Cela coûte extrêmement cher.» Les prix variaient entre 30 000 à 50 000 euros pour une cure chez le Dr. Fuentes.
Bref, le dopage existe toujours, mais il est devenu beaucoup plus difficile d'accès. Le système, lui, n'a pas beaucoup changé et implique toujours le dopage. Jean-René Bernaudeau, manager de Bouygues Télécom, a certainement raison de proposer l'application généralisée de contrats de travail impliquant une très grosse pénalité financière en cas de contrôle positif. «Il n'y a que l'argent pour dissuader les tricheurs» affirme-t-il. Et si c'était la bonne solution pour briser l'inertie du système? /JCE