Des citoyens scrupuleux

Vendredi dernier (relaté dans l?édition du jeudi 13 août), un bien extraordinaire citoyen était ramené au Locle par les soins de la gendarmerie de Môtiers. La veille, dans l?après-midi, il s?était présenté au bureau de la préfecture du Val-de-Travers en demandant qu?on veuille bien l?arrêter: «Je suis déserteur, dit-il, j?ai manqué à mes devoirs militaires et je viens me faire arrêter.» L?aimable employé qui le recevait eut vite compris qu?il avait affaire à un excellent citoyen aux idées quelque peu troublées plutôt qu?à un militaire en faute et repentant; mais il eut toutes les peines du monde à lui faire comprendre que la préfecture ne voyait pas dans son cas de raisons suffisantes pour motiver une arrestation. Il finit donc par s?en aller, mais revint, nous dit-on, au bout d?un moment, réclamant de nouveau avec l?instance qu?on voulût bien procéder à son arrestation. Nouvelle argumentation du secrétaire de préfecture qui parvient à force de douceur et de patience à décider notre homme à se retirer et à conserver sa liberté. A une troisième recharge faite vers le soir par ce curieux client de la prison, la gendarmerie de Môtiers pour avoir la paix et faire un heureux (où on peut pourtant trouver son bonheur!) consentit à le mettre à l?abri pour la nuit. Le lendemain, la préfecture faisait reconduire à sa commune d?origine du Locle cet innocent prisonnier, si convaincu de sa culpabilité qu?il était prêt à subir la plus sévère des condamnations. Il y a quelques mois un cas absolument semblable est arrivé à la Sagne: un brave citoyen, parfait honnête homme, se croyant coupable, allait, malgré les supplications de sa famille, se rendre à la gendarmerie pour se faire mettre sous clef; là encore ce n?est qu?à force de patience et de bonté que le gendarme du lieu parvint à faire réintégrer le domicile conjugal à son trop zélé client. Le pays peut être fier: il a des citoyens scrupuleux. Bienheureux sont-ils quand ils trouvent, comme à Môtiers et à la Sagne, d?aimables et bienveillants agents et administrateurs; c?est du reste généralement le cas chez nous dans nos administrations. (Archives de «L?Impartial»)