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Un tour de manège qui a duré soixante ans

Il est arrivé au Locle il y a 20 ans avec un tapis volant de quelques dizaines de tonnes. Gilbert Tissot, fringant septuagénaire, est un fidèle de la fête des Promos. Portrait d'un forain haut en couleur. «Quand on est forain, on est en liberté», lâche Gilbert Tissot. «Mais attention: en liberté surveillée... Car, dans ce métier, il faut bosser dur.» Il a beau avoir cessé son activité, le forain observe, le sourcil froncé, la valse des manèges sur la place Bournot-Andrié. Son royaume. Sous l'auvent de la caravane de 15 mètres, les petits-cousins rigolent. Car l'histoire de son métier, c'est celle de sa famille.

06 juil. 2008, 12:00

Le premier à fouler le sol suisse est son grand-père, venu de Besançon avec son frère. Celui-ci se prend les pieds dans le tapis au Locle mais le grand-père, lui, poursuit sa route jusqu'à Winterthour, où il rencontre Lina. «C'était une fille Sulzer, des machines à vapeur. En 1880, ils possédaient déjà un manège-bateau de 10 à 12 places, venu d'Amérique.» A l'époque, les manèges étaient entraînés par des chevaux et, plus tard, on en a même vu entraînés par une moto!

«Trimballer ces engins énormes, c'était tout un poème. On les tirait avec les chevaux jusqu'au chemin de fer. On était, qu'est-ce qui faut dire, peut-être 20 forains sur toute la Suisse. Aujourd'hui, on est près de 300.»

En 1906, son père, Charles - ça ne s'invente pas -, naît un jour de foire sur le quai de la gare à Couvet. Il épouse Blanche, foraine également, et de leur union naît Gilbert. «J'ai suivi l'école en internat à Neuchâtel jusqu'à l'été de mes 15 ans. Après, on m'a mis au boulot et c'était parti pour 60 ans sur la route, 11 mois par année. Couché à 1h, debout à 5 heures. Et, à l'époque, c'était tout du manuel, on n'avait pas de grue, pas d'hydroélectrique, c'était tout à la force des bras. Ça, on n'a pas de diplôme mais le travail du bois, la ferraille, l'électricité... On a tout appris.»

Aujourd'hui, les grues se transportent sur les remorques, les caravanes coûtent un million, les manèges aussi. «Ça complique un peu, d'autant qu'il y a aujourd'hui davantage de distractions. Les manèges créent moins l'événement qu'avant. On subit aussi la concurrence des parcs d'attraction.» Le ton rigolard se fait désenchanté: «Et puis, avec le cours du baril de pétrole qui s'envole, le budget transport a augmenté de 40%. Pour emmener notre manège au Locle depuis Winterthour, la benzine pour les trois semi-remorques nous a coûté 1200 francs», grimace un petit-cousin. «Ça devient de la folie!»

De la dizaine de manèges que Gilbert a possédés, il ne lui en reste qu'un, à vendre. Le forain vit en sédentaire, dans une maison de Neuchâtel. «Ma caravane est garée devant», précise-t-il. Le manège de petites chaises de sa grand-mère Lina, lui, tourne toujours en Suisse. «Ça fait 90 ans.» / SYB

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