Il a beau être le seul meunier à moudre de la farine panifiable du canton de Neuchâtel, Gérald Tock n’avait encore jamais participé à la Journée suisse des moulins. «Mais cette année, le thème est justement le pain», nous a-t-il expliqué, lorsque nous l’avons rencontré samedi 28 mai au Moulin de Bayerel, à Saules.

Aujourd’hui, on ne moud plus de céréales à Bayerel. Restauré par l’association du Moulin de Bayerel dès 2002, le bâtiment vieux de 600 ans a été doté d’un système hydraulique et de panneaux photovoltaïques dans le cadre du projet Bayerel-ECO, destiné à rendre le moulin 100% autonome. Le public a donc pu assister samedi, pour la première fois, à une démonstration de sciage de bois.

Démonstration de sciage au moulin de Bayerel. Photo: Christian Galley

Mais pour produire de la farine, Gérald Tock s’était déplacé avec une petite meule de démonstration.

«Je suis un gamin de Valangin», nous a-t-il confié. «J’ai mis les pieds dans un moulin la première fois à 11 ans, et je n’en suis plus ressorti. Mon grand-père travaillait à la scierie. Avec les autres gosses, je jouais à grimper sur la grande roue démontée. Elle est aujourd’hui exposée à l’entrée des Moulins souterrains du Col-des-Roches.»

Un seul diplômé en 2022

En 1982, il décide de devenir meunier. «A l’époque, il y avait encore du monde pour former alors qu’aujourd’hui, ce n’est pas facile pour un apprenti de trouver un moulin…» Le métier se perd. Lui envisage de prendre son fils en pré-apprentissage. En 2021, on n’a compté que deux diplômés dans toute la Suisse romande, et seulement un en 2022.

Il faut dire que financièrement, ce n’est pas facile. «J’ai dû avoir un job à côté, comme fontainier, jusqu’à ce que je reprenne le moulin de Valangin pour du fourrage, en 2020.»

Lorsqu’on a fermé les frontières, on a dû travailler 7/7, 12 heures par jour, pendant deux mois et demi.

Gérald Tock, meunier

Sur le site des Hauts-Geneveys, Gérald Tock ne moud que de la céréale du Val-de-Ruz, où 3000 tonnes sont produites chaque année. «Je mouds environ 10% de la production, soit 300 tonnes par an.»

Le reste part dans les grands moulins, en dehors du canton, comme ceux de GMSA à Granges-près-Marnand (VD). «Ce sont les plus grands de Suisse. Ils y moulent 300 tonnes par jour, l’équivalent de ma production annuelle!», compte-t-il.

Samedi, à Bayerel, on a pu déguster des crêpes de blé ou de sarrasin produit et moulu dans le Val-de-Ruz. Photo: Christian Galley

Ses deux moulins et celui des Ponts-de-Martel sont les seuls encore en activité dans le canton.

«Alors que jusque dans les années 1940, on en comptait une douzaine le long du Seyon et de la Sorge», raconte-t-il. «Chaque village où passait une rivière avait son moulin. Jusqu’en 1986, tous étaient subventionnés, à titre de précaution, en cas de guerre. L’arrêt de ces subventions, ça a été la mort de tous les moulins.»

Des visites guidées étaient également organisées au Moulin du Gor du Vauseyon. Photo: Christian Galley

Viennoiseries et pain importés

Il faut savoir qu’aujourd’hui, la grande majorité du blé n’est plus moulue en Suisse. «On importe beaucoup de viennoiseries et de pain déjà précuit. Et ce qui est malheureux, c’est que ces produits ne sont pas taxés à la frontière… C’est un peu la mort des boulangers et des meuniers.»

On pourrait bien le regretter un jour. Son épouse Christine et lui l’ont expérimenté durant la première vague du Covid. «Lorsqu’on a fermé les frontières, on a dû travailler 7/7, 12 heures par jour, pendant deux mois et demi pour satisfaire les demandes…», se souvient-il.

De l’amour plutôt que du gluten
Gérald Tock moud à 90% du blé, mais aussi du seigle, de l’épeautre, du sarrasin et de l’engrain, «le petit épeautre, la première céréale», explique-t-il. «Je travaille avec la meilleure qualité de blé. 30% environ est bio».
Ses clients sont la ménagère – ou le ménager -, différentes petites épiceries et des boulangeries. Ne cherchez pas filière plus courte.
Mais qu’est-ce qui différencie du blé moulu par ses soins d’une farine issue d’un moulin industriel? «La différence, c’est que je mouds avec amour», sourit-il. «Au goût, ça se sent, car je ne rajoute aucun conservateur ni additif.»
Le blé contient naturellement du gluten, mais si les allergies explosent aujourd’hui, explique Gérald Tock, c’est parce que les industriels en rajoutent dans les farines pour équilibrer les teneurs, ainsi que de l’acide ascorbique pour favoriser le gonflement de la pâte. Incriminer le blé n’est pas juste.
Et ne lui parlez pas de pain sans gluten! «C’est dégueulasse au goût, et j’invite vraiment les consommateurs à bien lire les étiquettes. On se rend compte que des liants sont ajoutés pour faire tenir le pain, que ce n‘est pas sain du tout.»
Lui, ce qui lui donne des allergies, c’est quand on dit du mal de la céréale. «Elle a nourri l’homme depuis toujours. On lui doit le respect.»

Les secrets d’un bon pain révélés par le dernier meunier du canton de Neuchâtel

Rencontre avec le meunier Gérald Tock, à Bayerel, à l’occasion de la Journée suisse des moulins.