Sur l’avant-bras, un impressionnant tatouage représentant le symbole anarchiste «A» couvé par un crotale menaçant, annonce la couleur. Le visage cuivré par la mouise, le look déglingué par un âge qui n’a plus d’âge, il arbore un anneau à chaque oreille. Tel un kangourou, il porte en bandoulière, dans un sac en toile, un petit chien curieux qui n’arrête pas de remuer la queue.
Dans le sous-voie de la gare où il a pris ses quartiers depuis quelque temps, il pousse la beuglante sur les notes grinçantes de sa guimbarde désaccordée. De sa voix éraillée, à tue-tête, il hache les stances de son existence. Sans pathos ni regret, avec humour et ironie, il remonte le fil de sa vie. Il énumère les failles, le jour où tout a basculé, les ruptures sociales, les abandons, les coups du sort.
Les mots portent, il y a de l’âme, du souffle, de la grandeur. Mais pour toucher qui? Pour toucher quoi?
Le cœur vaillant, inlassable, le ménestrel garde la foi. Remettant encore et encore l’ouvrage sur le métier, il réinvente de nouveaux refrains et d’autres lendemains. Rien n’y fait! Aucun écho à l’est d’Eden!
Et la sébile désespérément vide, l’infortuné reste droit dans ses santiags sous les regards obliques des passants.