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Simenon se raconte malgré lui dans un «autodictionnaire»

Biographe reconnu, romancier à succès, critique influent s'il en est, Pierre Assouline lance un OLNI (objet littéraire non identifié) dans le petit monde des livres: l'autodictionnaire. Georges Simenon inaugure le genre.

01 sept. 2009, 08:00

Miné par la maladie et le suicide de sa fille Marie-Jo, le 4 septembre 1989, Georges Simenon s'éteint à son domicile lausannois. Vingt ans plus tard, l'écrivain Pierre Assouline propose un éclairage inédit de l'homme aux 400 livres et aux 10 000 femmes que lui prête la légende. Une nouvelle lecture de l'œuvre universelle de Simenon; l'une des plus traduites et des plus commentées dans le monde, et qui reste néanmoins une énigme. «Cette œuvre-là est de ces cathédrales de papier qu'un océan de gloses et de commentaires jamais ne réussira à engloutir», écrit Assouline dans la préface en forme d'essai de l'«Autodictionnaire Simenon», qui sort ces jours en librairie. Une préface dense, brillante, constituant un véritable traité; une cinquantaine de pages mettant en perspective les définitions du dictionnaire avec une œuvre phénoménale, qui ne se réduit pas, et de loin, aux enquêtes du commissaire Maigret.

Pierre Assouline se livre ici à un exercice inédit: la publication d'un ouvrage intégralement composé d'extraits puisés dans l'œuvre de Georges Simenon. Pas une phrase, pas une ligne qui ne soit de la plume ou de la bouche de Simenon; un magma brut d'un millier de citations classées par ordre alphabétique. A ses «Mémoires intimes», à ses «Dictées» et aux champs par trop labourés par les exégètes, Assouline préfère d'autres pépites plus inattendues, recelées sous la dentelle noire de «Lettre à ma mère» ou entre les pages de son journal méconnu «Quand j'étais vieux». Autant de clés qui permettent, dans un jeu de kaléidoscope étincelant, de mieux comprendre comment, sa vie durant, ce génie du double «je» «prit l'homme en filature».

Pierre Assouline, c'est quand même un peu gonflé, cet «autodictionnaire» de Simenon par lui-même?

Oui, peut-être, mais j'assume. En lançant un genre littéraire inédit, j'aimerais permettre au lecteur de pénétrer plus facilement dans l'œuvre d'un écrivain, sans les filtres, sans les intercesseurs que sont les biographies, critiques et autres gloses.

Simenon ne fut pourtant pas avare de confidences. Il s'est beaucoup raconté?

Oui. Mais quel homme se cachait derrière ce flot de paroles? Je crois que c'est George Bernard Shaw qui disait: «Pourquoi voulez-vous que j'écrive mes mémoires, je n'ai rien à cacher?»

Et vous avez trouvé qui se cache derrière les 12 volumes des «Mémoires intimes»?

Difficile à dire... Je le décrirais comme un homme jaloux de sa solitude. Il m'a fait comprendre tellement de choses. Par exemple que ce qui compte chez un romancier, ce n'est pas l'inspiration, mais l'imprégnation. Il avait une capacité inouïe à s'imprégner des choses. C'était une éponge de génie.

Dans la biographie (plus classique) que vous lui avez consacrée déjà en 1992, vous éclairez quelques zones d'ombre, notamment son attitude ambiguë pendant la Seconde Guerre mondiale, l'engagement de son frère dans la Waffen-SS, les vraies raisons de son départ en Amérique... Aujourd'hui, 17 ans après, quoi de neuf?

Hier, la biographie laissait paraître l'homme nu derrière le voile de ses paroles. Aujourd'hui, l'autodictionnaire expose son squelette, sans faux-semblant, sans échappatoire. C'est une lecture nouvelle de son œuvre, de ses contradictions, de ses menteries.

Ses «menteries»? Vous voulez dire qu'il était manipulateur?

Je ne dirais pas manipulateur. Il dit ce qu'il pense, tout le temps. Il est sincère jusque dans ses mensonges.

Sincère, vraiment, quand ce romancier qui se confond avec sa légende prétend: «Il n'y a ni un phénomène, ni une énigme Simenon, mais un simple artisan»?

Il détestait que l'on parle de «l'énigme Simenon». Mais c'est un peu de sa faute; il a joué sur le phénomène à ses débuts, il était le romancier de tous les excès, l'écrivain aux cinq livres par an. Plus tard, il a évolué, mais l'étiquette lui est restée.

S'il pouvait lire par-dessus votre épaule, vous pensez qu'il apprécierait cette mise à nu?

Je ne me permettrais pas de me mettre à sa place... J'ai simplement voulu proposer une démarche de lecture inhabituelle. Le fait de casser la chronologie inhérente à toute biographie s'inscrit dans l'esprit de notre temps. Nous sommes habitués au zapping, nous voulons pénétrer dans la peau d'une vie par tous ses pores. Les jeunes, en particulier, ne vont pas spontanément lire Simenon, beaucoup ont l'illusion qu'il n'était qu'un auteur de polars. Si mon livre donne envie de lire ou de relire cette œuvre universelle, je n'aurai pas perdu mon temps. /CFA

«Autodictionnaire Simenon», Pierre Assouline, éditions Omnibus, en libraire dès le 3 septembre

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