Pour l'écouter, une cinquantaine de personnes sont montées à bord du bateau «Fribourg». Dans le port de Neuchâtel, le voyage filait au long du récit. Conteur captivant, Jean Buhler est capable des digressions les plus longues sans jamais oublier son point de départ.
Né à La Chaux-de-Fonds en 1919, Jean Buhler habite depuis près de 40 ans en ville de Neuchâtel. Faisant souvent les questions, il y apporte des réponses parsemées d'anecdotes savoureuses. Sa première longue échappée, à 19 ans, l'amène en Albanie, après avoir traversé l'Italie à pied. «Ma grand-mère disait toujours, une marche appuyée chaque jour jusqu'à cent ans et tu deviendras vieux!» Très grand, très droit, il applique à merveille ce précepte.
Il se souvient de ses débuts dans la presse, en 1941 à «L'Impartial». Après un mois de stage, il s'occupe de toutes les rubriques. A l'époque, le travail commençait à 5 heures du matin, le journal sortait à 11 heures, suivi d'une deuxième édition dans l'après-midi. Il évoque une soirée de 1941 un peu particulière. Dans la journée, il avait fait le compte rendu d'un match du FC La Chaux-de-Fonds et écrit, le matin, sur une exposition. «Je devais couvrir une soirée d'accordéonistes. En plus de tout faire, ou presque, dans le journal, j'écrivais pour moi», raconte Jean Buhler. Fatigué ce soir-là, il demande à une charmante jeune femme de l'appeler après la soirée pour lui décrire l'ambiance. «Comme elle ne l'a pas fait, j'ai écrit un article élogieux, disant que le concert avait charmé la salle, réuni les jeunes et les anciens de la société La Ruche». Le lendemain, le rédacteur en chef Paul Bourquin le convoque et le félicite pour son article, «mais me signale que la soirée avait été annulée!»
Parmi les petites perles, inévitables dans l'écrit de l'instant, il en narre une de septembre 1944: «Une formidable déflagration réveilla ceux qui ne dormaient pas encore».
Il rappelle que le journaliste doit rendre compte de ce que fait l'autre, avec une grande humilité. Comme un slogan, il énonce: «Les faits d'hier dans le journal d'aujourd'hui». Il restera à «L'Impartial» jusqu'en 1943, l'époque où six quotidiens informaient les Neuchâtelois. Ses toutes premières armes dans le métier, il les fourbit en Finlande. «C'est là que je me suis inventé une carrière de journaliste». A Helsinki en 1940, le thermomètre oscillait entre moins 24 et moins 40 degrés. Ses maigres économies fondues, «j'avais une faim farouche, le rationnement était féroce». Il doit traduire le mot «morpion» en finnois et dénicher un gagne-pain. Lui, abonné à la liberté.
Il empoigne alors l'annuaire téléphonique et appelle les rédactions d'Helsinki selon l'ordre alphabétique. «Le premier journal était une revue de criminalistique». Après un demi-échec, il frappe à la porte d'un quotidien de qualité. «J'avais 20 ans et si vous aviez une jeunesse à jeter par la fenêtre, tout était possible». En Finlande, il écrit sur l'Albanie que Mussolini envahit.
Si le reporter se doit de rester modeste, l'écrivain, en revanche, «peut se permettre d'aller plus loin, plus profondément». Il évoque Henri de Monfreid, écrivain aventurier qui lui joua un tour pendable. Il possédait des tableaux inédits de Gauguin. «Quand j'avais besoin d'argent, je ressortais cette histoire». Un beau reportage se vend toujours dans les magazines. «Or, tous les Gauguin étaient peints de la main de Monfreid!»
S'il n'avait qu'un conseil à donner à un jeune, ce serait de voyager, d'oser. En toute liberté. / JLW
Dernier ouvrage paru: «Les sables du temps», Jean Buhler, éditions G d?encre, Le Locle, 2006