Une réformatrice. Elle n’apprécie pas forcément d’être ainsi étiquetée. Mais Valérie Gianoli concède que c’est bien le rôle qu’elle joue au sein des services de l’Etat de Neuchâtel, depuis plusieurs années. Après avoir dirigé le Service des probations pendant deux ans, elle a réorganisé le service pénitentiaire à partir de 2011. Et c’est grâce aux résultats qu’elle y a obtenus que le poste de cheffe du Service de l’emploi lui a été proposé.

Elle est depuis 2016 aux commandes de l’un des services les plus fournis de l’appareil d’Etat cantonal, avec quelque 150 collaborateurs. Sous l’égide de Jean-Nat Karakash, l’ancien ministre de l’économie et de l’action sociale, Valérie Gianoli a revu son fonctionnement en profondeur. Si le chômage, à 2,8% en mai, n’avait pas été aussi bas dans le canton depuis vingt ans, ce n’est donc pas seulement grâce à la dynamique économique post-Covid.

Valérie Gianoli, qu’est ce qui se cache derrière ce chiffre du chômage historiquement bas?

Une forte reprise qui bénéficie à tous les secteurs et à toutes les régions de Suisse. Mais la vraie question est «qu’est-ce qui a conduit, après la crise de 2008 et pendant presque quinze ans, à ce que le taux de chômage moyen soit supérieur à 5%?»

Et quelle est la réponse à cette «vraie» question?

Le premier constat était une corrélation étrange entre l’augmentation du nombre d’emplois et de personnes en recherche d’emploi. Pour le dire autrement, il se créait de nouveaux emplois dans le canton, mais les Neuchâtelois n’en bénéficiaient pas assez. Cette situation découlait notamment d’une déconnexion entre les besoins des employeurs, qui se transformaient, se numérisaient, devaient se réinventer pour rester compétitifs, et les compétences à disposition. Si bien que les travailleurs locaux souffraient de la forte concurrence des pendulaires et des frontaliers.

La faute aux offices régionaux de placement?

Oui, en partie. Le problème provenait également d’un défaut de stratégie d’intégration professionnelle cantonale clairement posée. Les prestations du Service de l’emploi, qui ne se limitent pas aux ORP, n’étaient plus en phase avec les besoins du marché. Aujourd’hui, la nouvelle stratégie consiste à répondre aux besoins de l’économie. Le concept d’accompagnement et de formation des demandeurs d’emploi a été réinventé, et cela participe à la dynamique positive. Le Service de l’emploi n’a pas seulement un rôle d’assureur, il doit aussi être un relais pour faire converger les besoins en compétences des entreprises et les besoins des Neuchâtelois.

Les employeurs ont joué le jeu. Ils ont compris qu’ils avaient tout à perdre à voir le tissu sociodémographique décliner et l’attractivité du canton baisser.

Valérie Gianoli, cheffe du Service de l’emploi du canton de Neuchâtel

Aujourd’hui, vos relations avec les employeurs se sont-elles améliorées?

Oui, et cela a nécessité un immense travail. Nous avons admis nos faiblesses, écouté les critiques et compris leurs besoins. Cela s’est par exemple matérialisé par la création d’un secteur dédié aux employeurs et des collaborateurs proposant les profils recherchés. Il fallait reconquérir la confiance des employeurs et des associations professionnelles, et les convaincre, parfois un à un, que nous avions des prestations adaptées à leur offrir. La gestion de la crise sanitaire a d’ailleurs renforcé ces liens.

Et vous les avez donc convaincus de retravailler avec le service de l’emploi?

Nous avons peu à peu regagné des parts de marché. Pour répondre à votre première question, on peut considérer que ce taux de 2,8% est aussi le résultat d’une profonde réforme de nos prestations, d’une nouvelle vision. Mais j’aimerais souligner que les employeurs ont aussi joué le jeu. Ils ont, pour nombre d’entre eux, agit en coresponsabilité afin de résoudre cette situation. Ils ont également compris qu’ils avaient tout à perdre à voir le tissu sociodémographique décliner et l’attractivité du canton baisser.

Tout de même, l’obligation d’annonce, introduite en 2018, et qui donne une certaine priorité aux demandeurs d’emplois locaux, a aussi aidé à réduire ce déficit neuchâtelois.

Cette réponse, plutôt technique, à la votation politique de 2014 sur l’immigration de masse, nous avons été l’un des seuls cantons à l’accueillir sans que cela crée vraiment de tensions. Nous étions prêts, opérationnels et parés à proposer un ou des profils aux entreprises dans les 48 heures. Elle a été très vite implémentée. Nous avons en revanche passé beaucoup de temps à expliquer le système aux employeurs.

Cette obligation a-t-elle déclenché une augmentation des volumes d’annonces à traiter?

Oui, mais nous sommes habitués à travailler avec de grands volumes. Les chiffres de l’efficacité de ce dispositif, eux, sont dans les mains du Seco, et leur divulgation de leur responsabilité. Ce que je peux vous dire, c’est que ce système nous a apporté une grande visibilité sur les besoins du marché, et également sur les besoins de formation des demandeurs d’emploi.

Un CFC ne suffira peut-être bientôt plus. Il est devenu une étape dans un processus de formation.

Valérie Gianoli, cheffe du Service de l'emploi du canton de Neuchâtel

Aujourd’hui, le chômage semble être moins un problème que la pénurie de main-d’œuvre. Comment peut-on résoudre ce problème?

Cette pénurie ne s’explique pas de la même manière selon le domaine d’activité. La restauration souffre par exemple d’un problème d’attractivité qui date d’avant la pandémie. Pour d’autres branches plus techniques, le problème vient des compétences à disposition. C’est un fait: de moins en moins de jeunes semblent s’y intéresser. Sans compter qu’un CFC ne suffira peut-être bientôt plus. Il est devenu une étape dans un processus de formation.

Tout le monde doit devenir ingénieur?

En tout cas, celles et ceux qui ne sont pas ou peu qualifiés sont les plus exposés. Ce sont eux que l’on accompagne surtout. Mais les employeurs, là aussi, ont une responsabilité. Nous rencontrons encore trop de demandeurs d’emploi qui n’ont pas bénéficié d’une formation depuis vingt ans! Une des réponses, c’est la formation continue. Les entreprises doivent accompagner leurs ressources internes dans leur évolution.

Une cheminée en feu