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Un décalage dramatique

Pacifiste, le jeune Suisse est mort pour ses idées au Nicaragua. Le cinéaste Stéphane Goël lui consacre un documentaire qui décrit, aussi, la fin d'un idéal. Poignant Présenté en avant-première dans le cadre de la Fête du cinéma, le documentaire du cinéaste genevois Stéphane Goël a suscité une vive émotion. Dans l'assistance, maints spectateurs avaient connu personnellement Maurice Demierre qui, en son temps, était venu oeuvrer sur le domaine de Fernand Cuche. En des circonstances moins joyeuses, Demierre avait aussi connu les geôles de la prison de La Chaux-de-Fonds, où il avait dû exécuter la peine réservée aux objecteurs de conscience!

15 sept. 2006, 12:00
Bilan lucide

S'entretenant avec le public après la projection, Goël aura sans doute été un peu surpris par cette réaction très émotionnelle. Il faut dire que son film va bien au-delà de la simple hagiographie. Avec une intelligence remarquable et sans jamais heurter les sensibilités, le réalisateur de «Qué viva Mauricio Demierre» non seulement fait le bilan lucide de l'engagement de toute une génération, mais il développe aussi une réflexion capitale sur la problématique liée à ce genre de documentaire, la relation de loyauté à la personne filmée!

Pour mémoire, Demierre fut l'un des 1200 brigadistes pacifistes qui quittèrent l'Europe pour le Nicaragua en pleine effervescence révolutionnaire sandiniste. Epris de justice et d'égalité, ce jeune gruérien tenta de réaliser son idéal avec Chantal Bianchi, qu'il venait à peine de rencontrer. En 1986, Maurice est tué dans une embuscade tendue par les contre-révolutionnaires. Un brin instrumentalisée, sa «veuve» devint alors un symbole vivant du caractère meurtrier de l'impérialisme américain (alors incarné par Reagan), sillonnant les Etats-Unis pour témoigner des exactions de la Contra armée par Washington.

L'égérie finit par rentrer en Suisse où elle repartit de zéro, apprenant le métier de comédienne, se mariant et ayant des enfants. Bien plus tard, Goël apprend de sa bouche son histoire étonnante et décide d'en faire un film, d'autant plus que Chantal Bianchi s'est décidée à revenir à Sotomillo, le village où a été assassiné «Mauricio» Demierre. Avec sa troupe, elle veut jouer un spectacle en hommage à l'être aimé, pour célébrer les dix ans de sa disparition Goël décide alors de la suivre au Nicaragua et de filmer ses pérégrinations qui vont occasionner bien des déceptions, en regard de la situation qui prévaut aujourd'hui dans le pays le plus pauvre de l'Amérique centrale.

Matériel exceptionnel

De retour en Suisse, Goël procède à un travail de montage extraordinaire. Le bougre bénéficie il est vrai d'un matériel exceptionnel qui lui permet de jouer de manière sidérante avec les temporalités à des fins véridiques. Le jeune couple en rupture de ban avait en effet pour habitude d'envoyer à sa famille des reflets vidéo de son expérience révolutionnaire. En douceur, le film révèle alors son vrai sujet: non plus «Mauricio», mais une femme qui éprouve en secret un décalage dramatique, lequel culmine dans une scène de «représentation» dont on ne soufflera mot, pour préserver l'effet, essentiel, de surprise. Toute la tâche pour le cinéaste consiste dès lors à rendre compte de cet écart, que la protagoniste ne s'avouera jamais, sans faillir à la relation de loyauté qui le relie à elle. Il y est parfaitement arrivé, faisant de son film un témoignage irremplaçable sur le déclin d'une certaine forme d'engagement. / VAD

Neuchâtel, Palace; La Chaux-de-Fonds, Scala 1; 1h10

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