Pas étonnant qu'il publie à tour de bras sur le sujet. Viennent notamment de paraître l'album-photo «En pays kirghize» (éditions Transboréal) et le guide de l'Asie centrale (éditions Mondéos). René Cagnat donne une conférence ce jeudi au Club 44 de La Chaux-de-Fonds.
Vous présentez la Kirghizistan comme la Suisse de l'Asie centrale. Une Suisse, vraiment?
René Cagnat: Il y a les paysages pour commencer. Le Kirghizistan ressemble beaucoup à vos Alpes. C'est un château d'eau aussi. Et puis il y a l'état d'esprit des gens. Les Kirghizes sont très têtus et libres comme des Suisses. Ils ont la langue bien pendue. A la différence des Ouzbeks, ils osent parler politique. Ils ont cet esprit du montagnard qui a le sens de l'initiative et qui s'assume dans un environnement difficile. Leur pays est celui de la liberté, un îlot d'indépendance dans une région constituée de dictatures.
D'où démocratie menacée?
R. C.: Effectivement. Le Kirghizistan indépendante et libertaire inquiète ses voisins parce qu'elle remet en cause les régimes forts alentours. Chine en tête.
Et pourtant la révolution des tulipes, qui en mars 2005 a permis de déboulonner le président Askar Akaev sans violence, a prouvé que les mouvements d'opposition avaient leur voix au chapitre.
R. C.: Et c'est toujours le cas. Mais il faut que les démocraties, Etats-Unis et Europe en tête, appuient les mouvements démocratiques. La situation est toujours délicate comme l'ont montré les manifestations au début du mois (ndlr: les manifestants voulaient limiter les pouvoirs du chef de l'Etat dans la nouvelle Constitution).
Et comment va le pays économiquement?
R. C.: Plutôt mal. Depuis la fin de l'URSS, le tissu industriel s'est défait. Le chômage est important. Résultat: plus de 500.000 Kirghizes travaillent à l'étranger, notamment en Russie et au Kazakhstan. En revanche, le tourisme progresse. Mais le potentiel est là. En outre, les Kirghizes sont des gens intelligents. Ils savent s'adapter. Comme ils se battront contre toute tentative de museler leur démocratie naissante.
Et que dire de l'islamisation qui gagne le pays?
R. C.: Elle est inquiétante parce qu'elle touche les jeunes surtout. Jusque-là, le Kirghizistan était un pays converti sur le tard à l'islam où cette religion était vécue de manière superficielle. J'en connais plus sur l'islam que de nombreux Kirghizes. Mais depuis quelques années, la situation a changé. Des mollahs kirghizes formés en Egypte et au Pakistan ont débarqué et l'Arabie saoudite finance la construction de mosquées dans chaque village. Ceci dit, on trouve aussi des témoins de Jéhovah et des sectes protestantes américaines dans ces mêmes bourgades.
Et qui gagne?
R. C.: Les mollahs généralement. Ils interdisent l'accès aux cimetières aux non-musulmans alors que le culte des morts est essentiel pour les Kirghizes.
Quel est le rôle des Etats-Unis , eux qui paient chaque année 200 millions de dollars pour louer une base militaire pour leurs opérations en Afghanistan?
R. C.: Les Américains, notamment par l'intermédiaire de leurs organisations non-gouvernementales, sont très actifs au Kirghizistan. On sait qu'avant la révolution des tulipes les journaux de l'opposition ont par exemple été imprimés sur des presses payées par les Etats-Unis. Mais cet intérêt n'est pas innocent. L'Asie centrale regorge de ressources naturelles, notamment de pétrole et de gaz. Elle est essentielle pour les Américains quand on sait que plus de la moitié du gaz mondial, qui se trouve en Russie, Iran et Turkménistan échappe déjà à leur contrôle. / PVA-La Liberté
La Chaux-de-Fonds, Club 44, jeudi 23 novembre à 20h