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Sous le poids des bombes, Nina Simone a cessé de chanter

Bouleversante, engagée, «Le jour où Nina Simone a cessé de chanter» est une œuvre autobiographique coup-de-poing de laquelle on ne se sort pas indemne. La comédienne libanaise Darina al-Joundi y crie sa fureur de vivre alors qu'autour d'elle la guerre fait rage et que la mort est omniprésente. A voir jeudi soir au théâtre de L'Heure bleue à La Chaux-de-Fonds.

24 mars 2009, 04:15

Comment dire l'indicible? Comment incarner ses propres traumatismes, la jeunesse sous les bombes, la mort qui rôde à chaque instant, les viols, la domination des hommes, la drogue, le sexe et même la roulette russe comme exutoires? Comment dire l'ascendance d'un père qui lui enseigne le culte de la liberté totale puis la vengeance d'une société qui lui fait payer son insoumission en l'enfermant dans un asile et, enfin, l'exil en France? Tout cela sans tomber dans le pathos mais en conservant la force du vécu? C'est la prouesse qu'a réussie le metteur en scène français Alain Timar à partir du récit autobiographique de Darina al-Joundi, coécrit avec l'écrivain Mohamed Kacimi.

La pièce débute avec l'enterrement de la figure centrale du père, journaliste et écrivain syrien en exil, progressiste et laïc, qui a fait jurer à Darina, devenue Noun sur scène: «Ma fille, fais gaffe à ce que ces chiens ne mettent pas du Coran le jour de ma mort. Je voudrais du jazz, et même du hip-hop, mais surtout pas du Coran.» Sur scène, elle réalise ce qu'on l'a empêchée de faire dans la vraie vie: remplacer les sourates du Coran par «Save Me» de Nina Simone. Mais les beaux-frères, scandalisés par sa tentative, la passent à tabac et la font interner. Elle réalise alors que la mort de son père, en la privant de sa protection, l'enferme dans une liberté dont elle ne sait que faire. Et qu'elle est en train de payer «trente années de liberté illusoire dans cette ville d'hypocrites, de mensonges, de maquillage». Nina Simone a cessé de chanter.

Le père voulait faire de ses trois filles des femmes libres sans tabous sexuel, politique ou religieux. A l'âge de huit ans, il initie Darina au pessac-léognan, lui offre à 14 ans sa première cigarette et lui fait découvrir Dostoïevski, Baudelaire, Maïakovski ainsi qu'«Emmanuelle» et «Orange mécanique». Il la dissuade aussi à jamais de porter des soutiens-gorge: «Je ne sais pas si on va libérer Jérusalem, mais au moins on aura libéré tes seins pour de bon».

Quant à la guerre, «c'est la faute au Bon Dieu qui fout la merde partout. Le jour où l'on transformera en bordels les églises et les mosquées, nous serons tranquilles.» Car au-delà de la métaphore intimiste, l'horreur est bel et bien là, omniprésente. «Avec la chaleur, les cadavres, les bombes et les ordures, Beyrouth sentait la charogne. Au loin, j'entendais les aboiements des meutes de chiens qui se promenaient désormais avec des fémurs d'hommes entre les dents.»

La mort se confond avec la vie. «J'étais persuadée que j'allais mourir d'une seconde à l'autre, je mettais les bouchées doubles, j'étais donc affamée de tout, de sexe, de drogue, d'alcool.» Jusqu'à en arriver à l'extrême, la roulette russe. Pour ne plus être à la merci de la mort, mais de soi-même. «Il a pris le revolver, sans tourner le barillet. Il a tiré, sa cervelle a giclé sur mes cheveux.» Darina mourra finalement pendant son internement à l'asile. Elle renaîtra le jour de sa sortie. Le lendemain, elle s'envolait pour la France. /CGR

La Chaux-de-Fonds, L'Heure bleue, jeudi 26 mars à 20h30

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