A peine l’audience a-t-elle débuté, ce lundi 29 août, devant le Tribunal criminel des Montagnes et du Val-de-Ruz, mettant en cause trois anciens collaborateurs (le quatrième étant décédé) de Tissot et CK Watch & Jewelry, deux marques du Swatch Group, prévenus de corruption, que déjà l’ambiance était électrique.

Maître Sven Engel, mandataire de Tissot, a déposé vendredi 26 août les conclusions civiles: il s’agit d’un «pavé» de 49 pages. Comme le procès a déjà été renvoyé deux fois, «la partie plaignante avait près de 24 mois pour signifier ses conclusions civiles et elle les envoie la veille», s’est insurgé Maître Philippe Grumbach. «Trop, c’est trop!»

Ses confrères ont également jugé «inadmissible» ce procédé. Mais le président du tribunal, Christian Hänni, a considéré que l’envoi n’était pas tardif car le dépôt peut être encore effectué pendant les plaidoiries. Il a donc estimé que cela ne justifiait pas un nouveau report de l’audience.

Tout comme le fait que des personnes visées par les conclusions civiles n’aient pas été notifiées, à l’image de l’épouse d’un prévenu dont l’immeuble en copropriété est séquestré, ou encore la veuve du prévenu décédé. «Tous les tiers touchés ont été convoqués à un moment ou un autre» de l’instruction, a relevé le juge.

Montants «astronomiques»

Les conclusions civiles se montent à plus de 60 millions de francs en lien avec Tissot et à 500 000 francs en lien avec CK Watches. Des montants qualifiés d’«astronomiques» par Maître Philippe Grumbach, rejoint par Maître Jean-Daniel Kramer, représentant de l’homme décédé et aujourd’hui de sa veuve.

Une particularité concerne cette dernière. «On ne peut pas déposer de conclusions civiles contre ma cliente, qui n’est pas prévenue, mais la veuve du prévenu décédé», a souligné Maître Jean-Daniel Kramer. «Je veux éviter qu’elle doive payer des frais de procédure non négligeables et que l'on confisque ses biens aujourd’hui séquestrés.»

On ne peut pas déposer des conclusions civiles contre ma cliente qui n’est pas prévenue, mais la veuve du quatrième prévenu.

Jean-Daniel Kramer, avocat de la veuve du prévenu décédé

Comme ladite procédure dure depuis huit ans, la question de la prescription est aujourd’hui centrale dans cette affaire. Elle dépendra de la qualification juridique des faits. Elle est fixée, en effet, à 15 ans pour l’infraction de gestion déloyale aggravée. En revanche, pour le blanchiment d’argent et la violation de la loi sur la concurrence déloyale, elle serait déjà atteinte. Pour rappel, les trois prévenus sont accusés de corruption (passive ou active), de gestion déloyale et de blanchiment au détriment de Tissot et de CK Watch & Jewelry.

Les deux principaux prévenus – celui dont les sociétés étaient basées à Hong Kong et l’ancien responsable de la coordination de l’approvisionnement de Tissot - ont contesté les accusations formulées à leur encontre. Le premier, accusé notamment de corruption active, reconnaît avoir versé de l’argent aux deux autres. Mais pas de manière illégale.

Le second dit avoir d’abord refusé ces avantages. «Puis, il a fini par me convaincre que cet argent était finalement un bénéfice généré par ces deux sociétés, lié à sa collaboration avec Tissot et sans aucun préjudice pour cette dernière entreprise.» Avant de préciser qu’il n’était pas actionnaire dans ces sociétés.

Le juge s’est néanmoins étonné d’apprendre que son fils avait été engagé par l’une d’elles. Le prévenu a assuré que l’activité de ce dernier n’était pas liée à Tissot ou Swatch Group.

«Je n’ai pas porté préjudice à mon employeur»

Quant à la question de savoir pourquoi le collaborateur n’avait pas fait part à son employeur des avantages reçus, il a rétorqué: «A ce jour, je ne peux toujours pas répondre à votre question, hormis le fait que je n’ai pas porté préjudice à mon employeur.»

Aurait-il continué à travailler avec cette société sans obtenir ces avantages? Il a nié. Quand bien même il aurait reçu au moins 13 millions de francs, selon l’acte d’accusation. «Les sociétés correspondaient parfaitement à nos attentes. Par ailleurs, je n’avais pas de poids particulier chez Tissot. Toutes les décisions étaient prises de manière collégiale.»

Quant au troisième accusé, qui vit aujourd’hui en Moldavie, il dit également ne rien avoir à se reprocher, car il aurait juste «ouvert la porte» pour permettre à la société asiatique d’entrer chez CK. Il ne nie pas avoir reçu 800 000 francs pour cela. Argent qu’il ne restituerait néanmoins pas aujourd’hui, pour répondre à une question du président du tribunal.

Le réquisitoire de la procureur et les plaidoiries débuteront mardi 30 août à 8h30.

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