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Moi, Nicolas Philibert, ayant filmé 30 ans après

Réalisateur blessé d'«Etre et avoir», Nicolas Philibert est allé à la rencontre des acteurs non professionnels qui, trente ans auparavant, ont tourné dans «Moi, Pierre Rivière, ayant égorgé ma mère, ma s?ur et mon frère» de René Allio. Il en a retiré un film profond où il ne craint pas de s'exposer. Entretien.

16 nov. 2007, 12:00

Nicolas Philibert, comment passe-t-on de l'école auvergnate d'«Etre et avoir» aux verts bocages de Normandie?

Le projet de «Retour en Normandie», je le portais depuis longtemps en moi. Le déclic s'est produit le jour où j'ai montré à des élèves de la Fémis «Moi, Pierre Rivière?» qui, à mon sens, est l'un des grands films méconnus du cinéma français. Figurez-vous qu'aucun des élèves de cette école de cinéma pourtant prestigieuse n'avait entendu parler de René Allio. J'en étais effaré, ça m'a poussé à commencer le film!

Le thème principal du film, pourtant fondamental, a rarement été abordé au cinéma. On ne peut s'empêcher de faire le lien avec ce qui vous est arrivé après la sortie d'«Etre et avoir»?

La question de l'«après» est essentielle pour les documentaristes, bien plus que pour les cinéastes de fiction. Qu'est-ce qu'on laisse derrière soi quand on a fait un film, quand on s'en va, en abandonnant des gens que l'on a filmés pendant des mois? La question se pose autrement pour le cinéma de fiction. Les acteurs rebondissent, jouent au théâtre, font très vite un autre film. Quand on tourne un documentaire ou un film de fiction avec des non-professionnels, comme Allio, on ne sait pas ce que l'on laisse derrière soi: du bonheur, de la frustration, de l'amertume, de la fragilité, de la beauté? Il serait stupide de penser que le cinéma crée du bonheur, surtout de la part d'un cinéaste documentaire. Tout ça a sans doute un lien avec ce qui s'est passé après «Etre et avoir», mais jamais je n'y ai songé de manière consciente!

Très vite, votre film semble déborder les limites du projet que vous vous étiez assigné au départ. Est-ce voulu?

Quand on commence un tournage, comme je l'entends, on est dans une forme de fragilité. Moi, je travaille en improvisant beaucoup, je prépare le moins possible parce que j'aime bien garder une fraîcheur du regard, une spontanéité dans mon activité. Au départ, je ne savais pas du tout où ces gens allaient m'amener. Ce sont eux qui ont engendré les grands thèmes du film, comme l'importance du collectif, la question de la mémoire et de l'oubli, le courage qu'il faut pour vivre, surtout quand on cultive la terre?

«Retour en Normandie» frappe par la diversité de son approche, une grande liberté de montage qui joue avec des matériaux divers?

J'ai essayé de faire entrer en résonance les images du film historique d'Allio et la situation présente de ses protagonistes. Il faut savoir qu'Allio avait attribué tous les rôles élevés, juges, avocats, psychiatres, à des acteurs professionnels et donné à des non-professionnels ceux des paysans de l'époque. C'était une idée formidable qui fait encore écho aujourd'hui. D'autres rapprochements se sont imposés d'eux-mêmes, comme la folie probable de Pierre Rivière et la souffrance réelle des parents de Corinne qui est psychotique. C'est à la fois très libre, mais aussi très pensé, enfin je l'espère! / VAD

La Chaux-de-Fonds, Scala 2; 1h53
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